La vocation chrétienne en politique

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[pas de légende]

La vocation chrétienne en politique

4 octobre 2023

Le dimanche 22 octobre 2023 auront lieu les élections au Conseil national et au Conseil des Etats. Or le texte de l’Évangile de ce dimanche (dans le lectionnaire catholique) des élections nous invite précisément à réfléchir sur le rôle de l’état: « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est Dieu, » (Mat 22,21), c’est la réponse inattendue que Jésus fit un jour à ses adversaires, qui lui demandaient s’il était licite de payer ou non l’impôt à l’empereur. Je vous invite à partir à la recherche du sens de cette parole devenue proverbiale.

 

I. « L’entente » égoïste des partis.

 Jésus vient de raconter deux paraboles, où il dénonce la dureté de coeur des responsables religieux et politiques. Dans la parabole des vignerons meurtriers, les autorités sont ces vignerons qui saisissent, ruent de coups et tuent les serviteurs du propriétaire venus recevoir les fruits (l’impôt en quelque sorte!) qui lui revenaient. Puis c’est le fils lui-même qu’ils éliminent. Dans la parabole suivante, celle des invités au festin : même scénario. Les invités à la noce se saisissent des serviteurs du maître qui les invitent à la fête; et ils les tuent.

Jésus, un gêneur qu’il faut éliminer. C’est le constat de divers groupes qui avaient écouté sa prédication. Comprenant que Jésus parlait d’eux dans ces paraboles, les chefs de deux partis s’allient. Non pour changer de comportement et accueillir le Messie, mais pour le « prendre au piège ». Comme furent pris et assassinés les serviteurs des deux paraboles.

C’est une « entente » entre deux partis aux politiques opposées : d’un côté les pharisiens, qui, comme leur nom l’indique (« pharisien » signifie « séparé »), voulaient se séparer de la société souillée par l’occupant romain; de l’autre, les Hérodiens, partisans de la politique pro-romaine du roi Hérode. Ce n’est pas la première, ni la dernière fois dans l’histoire que des ennemis se mettent d’accord pour faire taire un trouble-fête.

Comment s’y prennent-ils ? Ils abordent Jésus en le flattant : Maître, nous savons que tu enseignes le chemin de Dieu en toute vérité, sans te laisser influencer par qui que ce soit, car tu ne tiens pas compte de la condition des gens. Ils ne pensaient pas si bien dire : Jésus leur donnera raison par sa réponse. Mais à leur confusion ! Jésus est bien celui qui enseigne le chemin de Dieu en toute vérité. Et ce chemin, nous le verrons, est celui du don et du partage, à l’opposé du chemin de la confiscation et de l’égoïsme suivi par ses adversaires.

Puis, ils lui posent la question : Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César ?  Une question cruciale à l’époque de Jésus et, plus tard, pour les premières communautés chrétiennes :  Dieu permet-il (derrière le passif de la question, on devine en effet le sujet divin) d’honorer les magistrats d’un régime oppressif, qui persécute les juifs et les chrétiens ? S. Paul y reviendra (Rom. 13.11). Poser cette question était une manière de prendre Jésus au piège. S’il répond oui, il est taxé de collabo et a les pharisiens contre lui. S’il répond non, on le prend pour un révolutionnaire, proche des zélotes nationalistes, et les hérodiens le dénonceront. Voilà Jésus pris entre l’enclume et le marteau. Comment s’en sortira-t-il ?

Sa présence d’esprit est … divine ! Qui d’autre que lui aurait pu réagir ainsi ? D’abord il débusque l’hypocrisie de leur question. Puis, comme ailleurs, Jésus ne répond pas directement, mais pose une autre question : – Montrez-moi la monnaie qui sert à payer l’impôt.  Ils lui présentèrent une pièce d’argent. Il leur dit : cette effigie et cette inscription, de qui sont-elles? Ils répondent: De César.

Contrairement aux pièces de monnaies juives qui n’ont pas de représentations humaines, cette pièce représente l’empereur et la légende dit que l’empereur est Dieu.

Ceci met en évidence que ceux qui interrogent Jésus portent sur eux-mêmes la monnaie de celui qu’ils détestent et servent. Ils profitent donc du système politique et économique que la monnaie rend possible, qu’ils soient du côté du parti gouvernemental ou du côté de l’opposition. L’argent n’a pas d’odeur ! L’impôt était-il alors un problème à cause de la prétention idolâtre de l’empereur ou simplement une charge économique en plus ? (Chaque habitant de l’empire devait le payer une fois l’an). Est-ce l’honneur de Dieu ou Mamon (le dieu- dollar), qui a inspiré leur question ? Le souci du droit divin ou plutôt l’avarice ?

 

II. Le chemin de Jésus : le don.

Alors Jésus leur dit : Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.

Rendre... C’est le verbe clé. Il s’oppose au verbe prendre du début de ce passage et aux verbes décrivant l’esprit de captation dans les paraboles précédentes. Pour rendre quelque chose, il faut avoir préalablement reçu de la part de quelqu’un ? Qu’a-t-on reçu de César ou de l’état, puisqu’aujourd’hui César personnifie l’état et ses magistrats ? Qu’a-t-on reçu de Dieu ? Que signifie rendre à César ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu ?

Rendez à Dieu ce qui est à Dieu !  Commençons par lui : Dieu premier servi ! Cette parole est semblable au premier commandement : aimer Dieu de tout son coeur et de toutes ses forces. C’est le mettre à la première place, c’est chercher d’abord le Royaume de Dieu et sa justice. C’est reconnaître que tout vient de lui, notre créateur et notre sauveur. « Tout vient de Toi, et ce que nous t’avons donné vient de Ta main », chante David (1 Chr. 29.11).

A nouveau Jésus invite ses contradicteurs à un changement d’attitude fondamentale. Il les appelle à passer de l’égoïsme au don, de la captation à la reconnaissance. Il s’agit d’abord, pour lui, de reconnaître la souveraineté de Dieu, son amour qui nous fait vivre, de « rendre grâces ». Aimer Dieu de toutes nos forces, et, en lui, toutes les créatures. Malgré ses prétentions illusoires, lorsqu’il se prend pour Dieu ou l’état-providence, César n’est qu’une créature. Il n’existe que parce que Dieu l’a voulu ainsi. (Jean 19.10s)

A Dieu donc vont tout notre être, notre temps, notre travail, notre coeur, notre intelligence. A Dieu, puis à ses créatures… dont César.

Rendez à César ce qui est à César… Pour bien exprimer notre amour envers Dieu, il faut apporter nos soins et notre attention à ses créatures. Mais c’est pour lui que nous devons le faire, pour continuer à le servir, à lui rendre grâces. C’est à cause de l’amour de Dieu que Jésus nous invite à rendre à César ce qui est à César. C’est à cause de Lui, que Paul dit : « Rendez à chacun ce qui lui est dû : l’impôt, les taxes, la crainte, le respect, à chacun ce que vous lui devez. » (Rom. 13.7). César est à honorer et à respecter. Mais il n’est rien de plus qu’une créature mortelle, comme toutes les autres; malgré ce qui est écrit sur la pièce de monnaie brandie par les pharisiens.

Rendre à César ce qui est à César, c’est donc d’abord payer les impôts, non comme une chose pénible, mais comme l’expression d’un service. Mais que signifie encore cette parole? Je voudrais souligner deux choses :

(i) Si César est une créature, il faut prier pour lui, et non le prier ! « Priez pour tous les hommes, pour les rois et tous ceux qui détiennent l’autorité afin que nous menions une vie calme et paisible en toute piété et dignité. » (1 Tim. 2.2) L’état n’est pas un dieu-providence de qui on attend tout, mais il a une vocation reçue de Dieu: « L’autorité est au service de Dieu pour t’inciter au bien » (Rom. 13).

L’état est un instrument suscité par Dieu pour maintenir la paix sociale et pour permettre à l’Église de Dieu de vivre dans la foi, l’espérance et l’amour et de déployer ses activités missionnaires et diaconales. C’est pourquoi il faut prier pour que les magistrats aient conscience de cela ou qu’ils en aient l’intuition s’ils ne sont pas croyants.

(ii)    Rendre à César ce qui est à César... c’est encore lui rappeler – quand il l’ignore ou l’oublie – sa vocation la plus haute selon la Bible : servir la vie. La vie dans sa fragilité, la vie quand elle est menacée. Dans l’Ancien Testament, le roi idéal est celui qui défend le pauvre, l’étranger, la veuve et l’orphelin. Jésus reprend cet idéal en mettant le petit enfant au centre, symbole de faiblesse et de précarité, et en nous invitant à l’accueillir. Ainsi la législation doit être au service de la vie, belle mais fragile.

 

III. Quelle « entente » entre politiciens chrétiens ?

Revenons au début de notre texte. Nous avons vu une « entente » des pharisiens et des hérodiens en vue du mal. Mais existe-t-il une entente pour le bien ? Comme il est difficile de s’entendre entre partis politiques. L’amitié politique est-elle possible ? C’est poser la question de la responsabilité politique du chrétien. Quelle contribution peut-il apporter en vue de la construction de la société civile ?

Il me semble que deux prises de conscience sont nécessaires.

D’abord celle de notre identité de chrétiens. Avant toutes choses, un homme ou une femme s’engageant dans la chose publique ne devrait jamais oublier son baptême. Le baptême fonde son identité la plus profonde. Il l’appelle dans l’union à la mort et à la résurrection du Christ, à faire mourir l’égoïsme et à faire grandir la vie, dans sa dimension personnelle et sociale. Se rappeler donc de son baptême est la première responsabilité du magistrat chrétien.

Puis la personne chrétienne engagée dans la chose publique ne devrait jamais oublier ce qui constitue le coeur du christianisme : la connaissance du seul Dieu éternel devenu homme. Elle se préoccupera donc de l’homme et s’opposera à tout ce qui l’écrase, et en particulier à l’état (ou à l’économie) qui se prend pour dieu, quand l’état ne défend pas les personnes vivant dans une situation de faiblesse. La personne chrétienne sait que c’est dans l’enfant et dans celui qui souffre que le Christ l’attend : le malade, le dénudé, l’étranger, le prisonnier… (Mat. 25). N’est-ce pas un point de référence commun suffisamment fort pour des politiciens qui savent que « celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne peut aimer Dieu qu’il ne voit pas » (1 Jean 4.20) ?

 

Conclusion en forme de prière.

« Rendez à César ce qui est à César… » 

Seigneur, tu nous invites ce matin à payer nos impôts avec joie et empressement !

Tu mets dans notre prière une intention toute particulière pour les personnes qui te servent dans la vie publique. En ce jour d’élections, fais-toi connaître à elles pour qu’elles prennent conscience plus profondément de la grandeur de leur vocation.

Et par-dessus tout, tu nous appelles tous à rendre à Dieu ce qui est à Dieu. Tu nous as donné la vie, un pays, du pain, des frères et sœurs, le pain de ta Parole. Nous t’en rendons grâces. Que tous ces bienfaits nous engagent à te mettre en premier dans nos vies.

Apprends-nous chaque jour à nous engager un peu mieux sur ce chemin du partage, que tu nous as révélés.

Qu’ainsi nous correspondions à notre vocation de personnes créées à ton image. Toi qui es don inépuisable, dans la communion du Père et de l’Esprit Saint. Amen.

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