Aider les athlètes à voir au-delà du sport

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Aider les athlètes à voir au-delà du sport

Ancienne hockeyeuse au niveau olympique, Sandrine Ray accompagne les sportifs professionnels dans leurs questionnements. Mal reconnue, sa fonction d’aumônière du sport témoigne pourtant de la grande solitude des compétiteurs d’élite.

Qui sont les personnes que vous accompagnez comme aumônière?

SANDRINE RAY On agit pour les personnes qui ont placé leur identité dans leur sport, et qui ont donc de la difficulté à rejoindre une communauté de vie ou de foi, car tout leur temps et leur attention sont pris par leur activité, qu’ils soient professionnels ou non. Je travaille plutôt avec des femmes, entre autres, car certaines de leurs problématiques sont spécifiques.

Lesquelles? La maternité… Mais aussi la vie de couple. Il y a toujours cette idée sous-jacente et intériorisée que c’est normal qu’un homme se déplace et que sa femme l’attende à la maison. Alors que l’inverse est moins facilement accepté. Certaines femmes athlètes peuvent avoir de la difficulté à trouver des compagnons qui acceptent leur rythme de vie, les contraintes liées à leur activité.

Comment votre activité est-elle financée?

Soit par des communautés, soit des privés, par des appels de dons ou encore par notre entourage. Athletes in action (voir encadré) n’est pas rattaché à une Église en particulier, mais au mouvement international Campus pour Christ, qui compte une antenne à Lausanne et Zurich (proche du Réseau évangélique suisse, dont il partage la charte, NDLR). Aux Jeux olympiques ou dans les événements sportifs, les aumôniers présents sont plutôt des évangéliques.

Est-ce que pour vous, votre métier consiste à évangéliser?

Tout dépend de ce que l’on entend par évangéliser. Partout où je vais, j’y amène Dieu, car il fait partie de ma vie. Mais quand je vais à la rencontre des athlètes, je m’intéresse à l’humain, j’accompagne les personnes indépendamment de leur confession. Comme aumônière croyante et confessante, j’amène ma propre conviction comme un modèle. C’est ce qui fait la richesse des rencontres.

Est-ce qu’une vie de foi est compatible avec le concept même et l’univers de la compétition?

C’est la question centrale que tous les athlètes se posent. Comment concilier une vie de foi avec les exigences du sport, le principe de la compétition?

Pour moi, nous avons des talents et des dons que Dieu nous a donnés. Le sport peut être un espace de louange! Je peux aussi considérer que Dieu m’a placée dans ce milieu pour être son témoin.

Mais la foi permet aussi d’affronter l’échec. J’observe souvent deux attitudes: certains sportifs axent tout leur travail sur la performance. En conséquence, ils vivent chaque échec comme une crise. D’autres se focalisent sur le sens de ce qu’ils font, et traversent l’échec totalement différemment. Comme aumôniers, notre rôle est d’aider les athlètes à voir au-delà de ce qu’ils vivent dans le sport, comprendre le sens qui existe derrière un échec, concilier performance et quête de sens.

Afficher ses convictions en tant que sportif est de plus en plus fréquent, n’y voyez-vous pas un risque de prosélytisme, lorsque les audiences se comptent en millions de personnes?

Lorsqu’une personne place sa foi sur le devant de la scène, on observera d’autant plus si ce qu’elle dit est en cohérence avec ses actions. Or, il faut comprendre aussi que le sport est un condensé de la vie: on vit des choses beaucoup plus intenses et la pression est très grande. Lorsque l’on voit quelqu’un considéré comme «chrétien» exploser sur un terrain, on n’a pas forcément tous les éléments pour comprendre certaines réactions ou certains gestes. Tout est décuplé. Les enjeux sont énormes. Rarement toute votre carrière se joue sur un seul instant. Chez un sportif, une seconde peut remettre en question une vie consacrée à l’entraînement.

Vous avez entamé vos premiers accompagnements en 2012. Quelle évolution constatez-vous aujourd’hui dans le domaine?

Les réseaux sociaux. Ils compliquent l’identité de la personne. L’athlète est souvent réduit à sa fonction: skieur, hockeyeur… Ce qui est déjà difficile à accepter. Les réseaux entraînent la construction d’une autre image, qui, la plupart du temps, ne correspond pas davantage à ce qu’il est. L’exposition implique forcément un jugement, une opinion en fonction de ce que les gens perçoivent. En écoutant de jeunes sportifs, on croit par exemple avoir affaire à des surdoués, très matures devant les caméras. Mais en réalité, ils sont entraînés à cela, et ce sont juste des personnes en construction, excellant dans certains domaines, mais en train d’apprendre par ailleurs, et souvent immatures dans d’autres domaines.

Justement, avez-vous constaté un effet #Metoo dans le sport?

Je n’ai pas assez de recul pour comparer l’avant et l’après. Mais il faut comprendre que le sport est un milieu très perméable aux abus. Les athlètes sont souvent isolés de leur entourage depuis leur très jeune âge, ce qui en fait des proies faciles, et explique qu’ils dénoncent des abus seulement des années après. Ils se sentent redevables envers leurs parents, qui ont investi beaucoup dans leur réussite, ont parfois constitué des «family business» entiers sur eux. Enfin, le rêve de l’athlète, c’est de gagner, et le coach, c’est celui qui l’aide à réaliser son rêve. Si on le dénonce, tout s’arrête! Souvent, l’aumônier est la seule personne totalement neutre dans la vie d’un sportif, avec qui il n’y a aucun conflit d’intérêts.

Aujourd’hui, d’autres professionnels prennent en charge les sportifs. Quelle est votre spécificité?

Un coach mental ne suffit pas. Tout sportif de haut niveau se confronte à des questions existentielles. Pourquoi je fais cela? Quel est le sens ? Dans tous les sports, on a gagné en vitesse et en puissance, ces dernières décennies. Un skieur, aujourd’hui, avec sa vitesse et sa force peut subir une blessure grave, voire mourir en cas d’erreur sur la piste. Des questions comme «Quelle est mon identité?» «Pourquoi est-ce que je risque ma vie?» «Que se passe-t-il si je meurs?» ne sont pas rares. Tout comme des situations ou des sportifs qui vivent dans une bulle où tout est contrôlé et maîtrisé (dormir, manger, s’entraîner, se confronter) se retrouvent dépourvus quand la vie les rattrape, par exemple lors du décès d’un proche. Un coach n’est pas équipé pour prendre en charge les situations où la vie reprend le dessus par rapport à la carrière sportive.

Comment les aumôniers sont-ils acceptés par le milieu sportif?

Aux Etats-Unis, il y a des aumôneries pour les équipes et les athlètes dans chaque université, car le sport est pratiqué sur les campus. En Europe et en Suisse, c’est plus compliqué, la foi est du domaine de l’intime, le sport est quant à lui public. De plus, chaque club est privé et il faut se faire accepter par chaque institution. Aux Jeux olympiques, un «interfaith center» a été théorisé, à la suite des Jeux olympiques de Munich de 1972, mais son élaboration dépend des pays organisateurs et doit être renégociée pour chaque édition. Aux Jeux olympiques de la jeunesse de Lausanne, je crois qu’il n’a pas été accepté, peut-être par crainte de prosélytisme envers les mineurs1. Mais on est au début, il faudra du temps pour que cela se mette en place, tout simplement.

En trois dates 

2006 Sandrine Ray est hockeyeuse sur glace au sein de l’équipe nationale suisse et participe aux Jeux olympiques de Turin. Le rêve d’une vie se réalise. Elle joue sept ans en équipe nationale, et participe à cinq championnats du monde. 

2012 L’appel. Sandrine Ray décide de devenir aumônière sportive, et entame une série de formations au sein d’instituts évangéliques: théologie du sport, mentoring sportif, accompagnement des personnes victimes de violences psychiques et sexuelles. 

2018 – 2019 A 36 ans, Sandrine Ray rejoint, à 20%, le pool d’aumôniers de l’organisation chrétienne suisse Athletes in action. En parallèle, elle accompagne les personnes souffrant de troubles psychiques à utiliser le sport comme ressource, dans l’établissement médico-social Béthel, à Blonay [VD].