Berne: les Eglises menacées par les actionnaires?

Le Grand Conseil bernois a accepté ce mercredi 6 mars, sous forme de postulat, la motion visant à rendre facultatif l’impôt ecclésiastique pour les personnes morales. Qu’en est-il exactement d’un point de vue légal? Eclairage. / IStock
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Le Grand Conseil bernois a accepté ce mercredi 6 mars, sous forme de postulat, la motion visant à rendre facultatif l’impôt ecclésiastique pour les personnes morales. Qu’en est-il exactement d’un point de vue légal? Eclairage.
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Berne: les Eglises menacées par les actionnaires?

Le Grand Conseil bernois a accepté ce mercredi 6 mars, sous forme de postulat, la motion visant à rendre facultatif l’impôt ecclésiastique pour les personnes morales. Qu’en est-il exactement d’un point de vue légal? Eclairage.

Les entreprises bernoises pourront-elles bientôt se soustraire à l’impôt ecclésiastique? Un premier pas a été fait dans cette direction ce mercredi 6 mars, lors de la séance du Grand Conseil bernois. Si le Parlement s’est refusé à opérer une coupe radicale dans les finances des Eglises reconnues du canton, il n’en a pas moins approuvé, sous forme de postulat, la motion Reinhard baptisée «Impôt paroissial facultatif pour les personnes morales».

Accepté par 93 voix contre 52 et 10 abstentions, le texte engage dès lors les autorités cantonales à mener un état des lieux exhaustif des prestations d’intérêt général fournies par ces institutions religieuses. Mais qu’en est-il du point de vue légal? Eclairage avec Thierry Obrist, professeur de droit fiscal à l’Université de Neuchâtel.

Pourquoi les personnes morales ne peuvent-elles pas, actuellement, se soustraire à l’impôt ecclésiastique?

Les personnes physiques peuvent invoquer leur liberté religieuse pour ne pas payer d'impôts ecclésiastiques pour une communauté religieuse à laquelle elles n'adhérent pas. Ce droit se réfère implicitement à la liberté religieuse qui est garantie à l’article 15 de la Constitution fédérale. Or, les personnes morales ne sont pas titulaires de la liberté religieuse, et ne peuvent donc pas invoquer ce droit fondamental pour se soustraire à cet impôt si le droit cantonal prévoit un impôt ecclésiastique.

La situation est-elle identique s’il s’agit d’une multinationale ou une petite entreprise familiale?

Il existe une jurisprudence en la matière, rendue par le Tribunal fédéral. Un propriétaire qui avait ouvert une Sarl où il était le seul employé souhaitait se soustraire non seulement à titre personnel de l’impôt ecclésiastique en invoquant sa liberté religieuse, mais également sa société. Le TF lui a répondu qu’il avait créé une personne morale, et que sa société avait de fait une autre personnalité juridique, qui ne pouvait plus être assimilée à sa personne. De fait, sa société était soumise à l’impôt ecclésiastique.

Est-ce le cas dans tous les cantons?

L’impôt ecclésiastique est déjà facultatif pour les personnes morales dans certains cantons, comme Genève et Neuchâtel pour la Suisse romande. 

Pourquoi n’existe-t-il pas d’harmonisation au niveau fédéral?

Il y a une loi fédérale d'harmonisation, la Loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID). Les cantons doivent respecter ses règles d'harmonisation lorsqu'ils prévoient certains impôts. Mais cette loi concerne uniquement les impôts directs: impôts sur la fortune, l'impôt sur le bénéfice ou sur les biens immobiliers. Or, cette loi ne règle par la question de l'impôt ecclésiastique, les cantons sont donc libres de faire ce qu'ils veulent dans ce domaine. 

Pour rendre cet impôt facultatif pour les personnes morales, il conviendrait donc de modifier la législation actuelle. A quel délai de réalisation pourrait-on s’attendre?

Oui la législation actuelle qui prévoit un assujettissement devra être modifiée, et ce changement de loi sera soumis au référendum (facultatif ou obligatoire); il est donc probable que le peuple bernois doive se prononcer. De toute manière, le processus législatif prendra un certain temps.

Pourquoi n’existe-t-il pas d’harmonisation au niveau fédéral?

Il y a une loi fédérale d'harmonisation, la Loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID). Les cantons doivent respecter ses règles d'harmonisation lorsqu'ils prévoient certains impôts. Mais cette loi concerne uniquement les impôts directs: impôts sur la fortune, l'impôt sur le bénéfice ou sur les biens immobiliers. Or, cette loi ne règle par la question de l'impôt ecclésiastique, les cantons sont donc libres de faire ce qu'ils veulent dans ce domaine. 

Les Eglises ont-elles donc du souci à se faire?

Si l'information selon laquelle les Eglises bernoises encaissen environ 40 millions de francs par an de l'impôt ecclésiastique des personnes morales bernoises est correcte, je pense que la situation va être compliquée pour elles. En effet, je peux m’imaginer que des actionnaires demanderont que leur société arrête de payer cet impôt pour réduire les charges des entreprises concernées. J’ai eu vent des difficultés financière des Eglises reconnues officiellement dans un canton dans lequel une grosse multinationale a cessé de payer l’impôt ecclésiastique et la situation a été délicate.

Quelles prestations d’intérêt public?

 «L’Eglise, c’est plus que ce que tu crois.» Réunies sous cette devise, les trois Eglises nationales bernoises ont présenté, lors d’une conférence de presse qui s’est tenue le 21 février dernier, toutes les activités qu’elles proposent en dehors de leurs murs.

Que ce soit en ville, dans les agglomérations ou les régions rurales, l’Eglise réformée évangélique, l’Eglise catholique romaine et l’Eglise catholique chrétienne proposent en effet un grand nombre de prestations diverses au grand public. En dehors des traditionnelles aumôneries dans divers lieux publics tels que les prisons, les EMS ou les hôpitaux, les Eglises apportent également leur soutien financier à divers projets sociaux: repas pour les sans-abris, cours de langues pour réfugiés, accompagnement de personnes avec un handicap, etc.

Sur le sol bernois, on citera notamment la Main Tendue, les centres de consultation «Couple, partenariat, famille», la ligne d’écoute et de soutien aux personnes issues du monde agricole ou encore la Care Team du canton, qui intervient aux côtés des forces d’intervention dans des circonstances extraordinaires comme des accidents ou catastrophes naturelles.

Grace à leurs nombreux bénévoles, les trois Eglises, subventionnées par le canton de Berne, font état de plus de 833'600 heures de travail par année, ce qui correspond à 400 équivalents plein temps. «Si l’Etat devait assumer ces tâches d’utilité publique, les coûts prendraient l’ascenseur», mentionne leur communiqué commun. Lucas Vuilleumier, Protestinfo

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Thierry Obrist, professeur de droit fiscal à l’Université de Neuchâtel
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