Cinquante ans de prières et d’accueil

De nos jours, les ofces de la FPO se tiennent trois fois par jour du mardi au samedi dans le chœur de l’abbatiale et on y invite toujours les visiteurs de passage. / © M. Gaudard
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De nos jours, les ofces de la FPO se tiennent trois fois par jour du mardi au samedi dans le chœur de l’abbatiale et on y invite toujours les visiteurs de passage.
© M. Gaudard

Cinquante ans de prières et d’accueil

Numa Francillon
25 octobre 2023
Mémoire vivante
Depuis 1973, des communautés composées de membres catholiques et protestants se succèdent à Romainmôtier pour prier ensemble et accueillir les personnes de passage. Jean-Pierre Tuscher, pasteur à l’initiative de la première Fraternité œcuménique, nous raconte le début de cette grande histoire.

Prière, unité et accueil. Ces trois mots sont à l’origine de l’arrivée de quatre sœurs – deux protestantes et deux catholiques – à Romainmôtier en mai 1973. Cinquante ans plus tard, Jean-Pierre Tuscher, le pasteur de l’époque et initiateur de la première Fraternité de prière œcuménique (FPO) de l’abbatiale nous reçoit chez lui à Chavornay. A 94 ans, ses souvenirs sont clairs. Sa mémoire est vive. Les anecdotes d’un autre temps sont drôles et nous font remonter le fil des années. «A mon époque, le salaire annuel de l’organiste de l’abbatiale était un pot de géranium.» Un demi-siècle après avoir réussi à convaincre le conseil de paroisse de Romainmôtier, les responsables catholiques et la communauté des Sœurs de Saint-Loup, Jean-Pierre Tuscher revient sur une aventure qui a su «se réinventer à chaque époque» pour perdurer.

Au fil des questions et de la conversation, il raconte, explique et se remémore. Un travail de mémoire pour transmettre l’esprit d’un lieu placé sous le signe de l’ouverture et du spirituel.

Jean-Pierre Tuscher, la FPO de Romainmôtier fête ces cinquante ans. Vous qui êtes à l’origine de ce projet, êtes-vous surpris par cette longévité?

C’est difficile à dire. Tout a commencé à l’été 1969, quand j’ai invité six étudiants de l'Université de Lausanne, trois femmes et trois hommes, trois catholiques et trois protestants à venir prier et accueillir les gens qui venaient à Romainmôtier. L’idée de ce projet était d’avoir une Eglise qui vit et pas seulement un monument historique silencieux.

Quelles étaient les craintes ou les doutes liés à cette première expérience de vie chrétienne en communauté?

Le conseil de paroisse de Romainmôtier était très craintif vis-à-vis de ce projet, notamment d’un point de vue fnancier. Il avait peur que ça coûte trop cher. Je me suis donc porté garant du projet en disant que s’il y avait un déficit, je le prendrai à ma charge.

Avez-vous dû vider vos poches après leur départ?

Non, non, bien au contraire (rire)! Nous avons fonctionné avec un système D pour le logement. Les paroissiens des villages de la paroisse ont assuré l’approvisionnement en nourriture en apportant des paniers garnis de fruits, de légumes, de saucissons et de chocolat. Par ailleurs, il y avait un vieux tronc à l’entrée de la nef qui était à disposition pour les offrandes. A la fn du mois, j’ai fait le compte et il y avait 1000 francs. Une somme considérable pour l’époque, ce qui a permis de financer la suite des projets œcuméniques et inviter des sœurs à Romainmôtier.

Quatre ans plus tard, quatre sœurs arrivent à Romainmôtier pour vivre en communauté et fraternellement. Rassembler des catholiques et des protestantes a-t-il été un long processus?

Effectivement, cela a demandé pas mal de temps et d’énergie, mais on en a quand on est jeune. Je me suis toujours amusé des circonstances. Finalement, les choses tiennent parfois à peu de choses. Parmi celles-ci, il y a eu un mouvement après mai 68 pour rapprocher les jeunes catholiques et protestants. A un moment donné, l’Evêque avait même interdit la participation des prêtres pour non-respect des règles canoniques. Accusé d’être un ennemi de l’œcuménisme, il manifestait son ouverture à l’œcuménisme en soutenant mon projet.

Comment imaginez-vous la FPO dans les cinquante prochaines années?

Si ça doit durer, alors ça évoluera sans doute vers d’autres formes. Un des défis majeurs est de réussir à renouveler les membres de la fraternité et de trouver des jeunes. Pour continuer à exister, la fraternité devra se réinventer comme elle l’a fait depuis sa création.

Cinquante ans d’histoire

On ne peut pas parler œcuménisme à Romainmôtier sans évoquer Amédée Dubois, pasteur de 1946 à 1966. De ces débuts «inofficiels» en 1969 à sa forme actuelle, nombreuses sont les étapes et les personnes qui ont participé à faire vivre et évoluer la FPO. Paul-Emile Schwitzguébel qui a succédé à Jean-Pierre Tuscher (27 ans à Romainmôtier) en 1994 est l’initiateur de la FPO dans sa forme actuelle. Il a assuré la continuité et participé à l’évolution de la communauté durant les vingt-trois ans de son ministère. Aujourd’hui, Nicolas Charrière, pasteur de la paroisse Vaulion-Romainmôtier, s’engage pour que l’aventure continue.

Un livre sur les Fraternités

Pour aller plus loin sur le sujet, le livre Les Fraternités œcuméniques de Romainmôtier de Jean-Yves Savoy (Ed. Cabédita) retrace en détail le chemin de rencontre entre réformés et catholiques à Romainmôtier.

Et encore...

Lire Le récit d'une aventure oecuménique, paru dans le Journal Réformés de septembre 2023.

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Nicolas Charrière, Jean-Pierre Tuscher et Paul-Emile Schwitzguébel (de gauche à droite), trois générations de pasteurs à Romainmôtier.
© M. Gaudard