Le miracle comme preuve?

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[pas de légende]

Le miracle comme preuve?

5 février 2024

Dans le blog de la semaine dernière, je faisais allusion à certaines Eglises dans lesquelles des miracles ont toujours régulièrement lieu alors que ce n'est pas le cas dans la plupart des autres. Est-ce à dire qu'une Eglise est plus authentique si des miracles y ont lieu que si tel n'est pas le cas ? Cela pose la question du miracle comme « preuve » : preuve de véracité de ce qui a lieu dans une Eglise, mais aussi preuve de l'existence de Dieu, de sa capacité à intervenir dans sa création, voire preuve que Jésus était bien Dieu en personne agissant pour la libération de l'humanité.

Quelques précautions s'il vous plaît !

Pour qu'un événement rationnellement inexplicable soit une preuve, il convient d'abord de prendre quelques précautions. L'une d'elles est exprimée par le philosophe écossais du XVIIIe siècle David Hume. Il écrit : « Aucun témoignage ne suffit pour établir un miracle, sauf si le témoignage est de telle sorte que sa fausseté serait plus miraculeuse que le fait qu’il essaie d’établir. » En d'autres termes un témoin relatant un miracle est crédible dans la seule mesure où la probabilité que ce témoin mente ou se trompe est plus petite que la probabilité que le miracle se soit produit. Ou encore : le fait que le témoin ne se trompe pas doit être plus miraculeux que le fait que le miracle ait pu se produire. Il convient donc d'être très très circonspect à propos des récits qu'on nous fait de miracles réalisés par telle personne ou dans telle communauté si on veut les utiliser comme preuve de quoi que ce soit.

Pas une spécialité chrétienne

On peut ensuite faire remarquer que les récits de miracles au sens d'événements sans cause explicable autre que surnaturelle ne sont de loin pas l'apanage des récits à propos de Jésus et du christianisme. Dans toutes les religions ou presque on raconte des faits miraculeux pour attester l'autorité divine de tel prophète, de tel révélateur du dieu, de telle communauté religieuse, etc. Mais pourquoi les miracles que Jésus aurait réalisés selon les évangiles seraient-ils une preuve de sa divinité alors que ceux qu'on attribue au Gautama Bouddha ne le seraient pas ? Pourquoi ne considérerions-nous pas une rebouteuse dont on n'explique pas certaines guérisons comme inspirée directement par Dieu alors que ce serait le cas de telle membre d'une communauté charismatique chrétienne qui opère des guérisons très semblables ? Pourquoi dirait-on d'une personne croyante qui « parle en langue » que c'est la preuve qu'elle possède un pouvoir venu de Dieu alors que cette même personne ayant perdu la foi ou s'étant convertie à une autre religion et continuant à parler « en langue » ne serait qu'une malade mentale ?

Pas de miracle sur commande !

Dans les évangiles, on rapporte nombre de miracles de Jésus. On les cite très facilement, mais par contre on ne mentionne que peu souvent cet épisode où Jésus refuse un signe qui lui est demandé par des pharisiens (Marc 8.11-13 et parallèles). Pourquoi Jésus « soupire-t-il profondément en son esprit » et refuse-t-il d'accorder un signe, donc une preuve « à cette génération » ? Cela est d'autant plus troublant que, dans l'économie de l'évangile, Jésus vient de nourrir 4000 personnes avec sept pains et quelques petits poissons. C'est que le dieu au nom duquel Jésus opère n'est pas un dieu dont on puisse exiger quoi que ce soit. On ne peut que recevoir ce qu'il nous offre, d'autant qu'il sait de quoi nous avons besoin avant même que nous le lui demandions (Matthieu 6.8). Un miracle, cela ne se commande pas, cela se reçoit.

Que Dieu se justifie donc par ses œuvres !

Cela nous amène à constater que, quand on pense qu'un miracle est une preuve, on a une compréhension complètement erronée du dieu qui se donne à connaître en Jésus et de notre rapport avec lui. On imagine que Dieu se définit par ses actes, par ses œuvres. On projette sur Dieu ce que, nous autres humains trop humains estimons vrai à notre propos. Dieu doit pouvoir prouver qu'il est bien Dieu en montrant de quoi il est capable comme un ouvrier doit prouver qu'il est un bon ouvrier, qu'il mérite son salaire, le respect des autres par ce qu'il est capable de faire. Considérer que l'on pourrait avoir la preuve que Dieu existe bel et bien ou qu'il est aux côtés de Jésus ou qu'il inspire telle personne ou communauté, c'est réfléchir dans les termes de la justification par les œuvres. Or – et cela est au coeur de la prédication de Jésus, comme de tout le christianisme primitif – Dieu justifie gracieusement, gratuitement, inconditionnellement. La logique de Dieu n'est pas celle du donnant-donnant, de la rétribution. Quand donc on pense Dieu en termes de preuves, on exige de lui ce qu'il n'exige pas de nous : qu'il le prouve par ses œuvres. Ce faisant on nie aussi sa seigneurie, sa liberté de donner comme et quand il veut à qui il veut. On met Dieu à notre service. On n'en fait rien moins qu'une idole.

Où il convient de mettre les bonnes lunettes !

Et ici il est peut-être bon de revenir sur le miracle refusé par Jésus à « cette génération » alors qu'il vient de faire toute une série de miracles. Il signifie ainsi aux pharisiens qu'ils ne portent pas les bonnes lunettes pour relire la réalité. Si cela avait été le cas, ils auraient été convaincus – dans l'économie pré-scientifique des évangiles – par tout ce que Jésus a réalisé depuis le début de ce que raconte l'écrit en question.

Aujourd'hui de même, Dieu ne cesse de faire des miracles, d'intervenir dans notre monde, mais nous sommes trop souvent incapables de reconnaître ces interventions. Quand des chrétiens en dénigrent d'autres parce qu'ils ne font pas de miracles, ils ne savent pas reconnaître tous les miracles que Dieu réalise au travers de ceux qu'ils méprisent, à commencer par le miracle du pardon gratuit des péchés et donc de la conversion de ces chrétiens « autres », de leur foi, puis de leur dévouement à la cause de Dieu... Ainsi lorsqu'un chrétien, parce qu'il est chrétien, sort de sa zone de confort pour récolter de la nourriture et la donner aux nécessiteux, est-ce un miracle ou n'en est-ce pas un ? Dieu est-il à l'œuvre ou non ? Certes cela n'est pas très spectaculaire aux yeux du « monde ». Cela ne rassemble pas les foules dans des méga-communautés. Mais la reconnaissance que Dieu justifie ou pardonne gratuitement, qu'il ouvre notre avenir et ainsi qu'il nous ouvre aux autres, cette reconnaissance a l'avantage de ne pas nous mettre au service d'une idole dont on exigerait qu'elle prouve son existence et la valeur de ses adorateurs par des actes sortant de l'ordinaire. Allons plus loin : il serait encore faux de penser que Dieu n'intervient qu'au travers des chrétiens. Car ce chrétien qui sort de sa zone de confort parce que chrétien ne fait rien d'autre que ce que fait un athée, un agnostique ou un adepte d'une autre religion qui sortent de leur zone de confort pour récolter de la nourriture pour les affamés. Comment peut-on décider que Dieu ne peut pas changer le monde par l'intermédiaire de cet agnostique ou de cet athée ? Et qui oserait prétendre que Dieu n'est pas aussi à l'oeuvre quand un bouddhiste sort de sa zone de confort et de sa propre quête de nourriture pour nourrir des affamés ? Tous ces « miracles » – car tous sortent de leur zone de confort – ne prouvent rien à propos de Dieu. Il faut d'abord être convaincu que Dieu est Dieu pour découvrir dans de tels actes l'oeuvre de Dieu en faveur de l'humanité.

Le bien des humains, oui ! Des preuves, non !

Dernière notule à propos du refus par Jésus de faire un miracle à la demande ou sur commande : les miracles de Jésus que nous content les évangiles ne sont jamais conçus pour prouver quoi que ce soit à propos de Dieu ; ils sont là pour venir en aide à des humains qui sont dans le besoin. Jésus refuse aux pharisiens de faire un miracle pour le miracle, un miracle qui ne soit pas un miracle en faveur d'humains dans le besoin. Par contre il ne refuse pas de guérir, à la demande pressante d'une femme syro-phénicienne, la fille de celle-ci qui avait un esprit impur ou le sourd-muet qu'on supplie de guérir (deux récits qui précèdent la seconde multiplication des pains, laquelle précède immédiatement Marc 8.11-13).

 

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