Justice et liberté

Déclaration des droits de l'homme 1789
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Déclaration des droits de l'homme 1789

Justice et liberté

12 février 2024

Lors d'un atelier philosophique consacré au thème « Le désir et la politique », l'animateur a commencé par demander aux participants ce que leur suggérait ce sujet. Il a rempli deux grandes pages de son flip chart. Il y était question de désirs de paix et de justice adressés au monde politique. Par contre rien qui ait un lien avec le désir de liberté. Il a fallu attendre que l'animateur introduise la morale de Kant, puis des textes de Marx et de Freud pour que surgisse un lien entre désir, politique et liberté.

Cette absence manifeste probablement que la liberté est ressentie comme un acquis alors que la justice ne l'est pas et que la paix est constamment menacée. On a l'impression d'avoir une liberté bien suffisante, mais peut-être est-ce à cause de cette liberté même que la justice n'est pas respectée. En effet, quand chacun a la liberté et qu'il la comprend comme la capacité de faire ce que bon lui semble, la liberté des uns a toujours tendance à empiéter sur celle des autres. Ces « autres » réclament alors légitimement davantage de justice entre tous les membres d'une même société. Il en va de même en ce qui concerne la paix. On a, avec raison, l'impression que lorsque certains exercent leur « liberté » sans tenir compte de celle des autres, la paix est menacée ou impossible à établir.

Mais dans ces deux exemples, n'est-ce pas précisément la liberté (d'un petit nombre) qui fait problème avant même la justice et la paix ? Peut-être faut-il cependant enlever dans la phrase précédente le « avant » et le remplacer par un « autant que ». La liberté fait problème au même titre que la justice et que la paix. C'est que, plus généralement, il n'y a pas de liberté sans justice et vice versa. Depuis bientôt deux siècles les socialistes reprochent aux partisans du libéralisme (en particulier économique) le manque de justice dans les sociétés où ils sont au pouvoir. Inversement, le reproche adressé par les sociétés libérales aux sociétés qui se veulent les plus justes possible consiste à montrer qu'elles conduisent à la stérilité faute de libertés. De manière générale la liberté et la loi qui vise à préserver l'égalité entrent en conflit. Naît alors l'idéal dont rend compte le premier article de la déclaration des droits de l'homme de 1789 : une égale liberté pour tous. Comment donc, pratiquement, réaliser ce droit fondamental de tous à une égale liberté ?

La solution néo-libérale qui prévaut aujourd'hui dans notre société affirme d'abord que, comme du reste dans le marxisme, tout dépend de l'économie. Et en matière économique, il suffit que chacun en fasse à sa tête, le marché se régulera de lui-même. Là on n'est plus du tout « comme dans le marxisme »! On est persuadé qu'une justice s'établira à terme grâce à la main invisible d'une puissance transcendante et juste qui rétablira un certain équilibre ou qui rétribuera chacun selon ses mérites. Ce n'est cependant pas là une solution à notre problème. D'une part, à appliquer ce principe néo-libéral, l'expérience montre que le fossé entre riches et pauvres ne cesse de se creuser. La justice est donc bafouée. D'autre part, on n'en arrive pas à une égale liberté de tous, mais à une juxtaposition d'une totale liberté purement formelle et d'une justice qui n'en est manifestement pas une.

En réaction à cette première solution, on propose souvent la résignation. Elle s'exprime par la formule célèbre : ma liberté prend fin là où commence celle de l'autre. Cette solution ne fait cependant que des insatisfaits. La liberté ne supporte pas d'être limitée. Moi comme autrui sommes frustrés de ne pas pouvoir connaître une liberté plénière. Autrui comme moi-même cherchons à étendre notre liberté. Des conflits sont inévitables.
Face à ces deux solutions insatisfaisantes, le christianisme aurait-il quelque chose à offrir ? Dans sa manière de comprendre sa vie, une chrétienne ne se contente pas de réfléchir aux relations entre liberté et justice. Elle y adjoint un troisième larron : l'amour. Une chrétienne ne se pense libre qu'en engageant sa liberté dans la recherche de la liberté de l'autre. Sa liberté ne prend pas fin où commence celle d'autrui, mais sa liberté commence là où commence aussi celle d'autrui. Je ne puis, en effet, être libre que si l'autre l'est aussi. Si l'autre n'est pas aussi libre que moi, j'ai tout naturellement des remords de l'empêcher d'être pleinement elle ou lui-même. Et si j'ai des remords, si je me sens coupable, je ne suis pas réellement libre. La chrétienne se dit alors que si tous les humains pensaient leur vie comme elle le fait, tous seraient également libres. Justice et liberté se donneraient vraiment la main.

Quant à savoir comment je puis rendre mon prochain libre, j'ai déjà exprimé dans un autre blog (https://www.reformes.ch/blog/jean-denis-kraege/2023/04/liberte) qu'il faut lui proposer de commencer par renoncer à sa liberté, de laisser Dieu seul être libre au sens de faire ce que bon lui semble et de le laisser exercer sa liberté sur nos vies. Alors, détaché de lui-même, de ses idoles, de ses besoins..., mon prochain pourra engager cette liberté à l'égard de toutes choses dans un effort pour amener son propre prochain à se détacher de lui-même, etc. en un cercle vertueux.

Vous ne voyez pas ce que cela peut signifier au plan économique ? Si vous êtes détachés de votre besoin de posséder plus que le nécessaire, vous devenez capable de partager non seulement votre compréhension de la vie avec votre prochain, mais aussi votre argent bien davantage que vous ne le faites « naturellement » et au passage vous accepterez de décroître, de faire preuve de sobriété...

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