En quête d'absolu

En quête d'absolu
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En quête d'absolu

En quête d'absolu

26 février 2024

Nous sommes ainsi faits que nous avons besoin d'absolu. Inscrits dans le temps, nous rêvons à l'éternité. Disposant de certains pouvoirs nous aspirons à la toute-puissance ou à une totale liberté. Capables de connaître de manière quelque peu robuste un certain nombre de choses, nous aimerions pouvoir devenir omniscients ou en tout cas que nos machines intelligentes le deviennent... D'où vient ce besoin d'absolu qui pourrait bien être propre à l'espèce humaine ?

Limites à dépasser

Il va d'abord de soi que nous ne serions pas en quête d'absolu, si nous n'avions pas conscience de nos limites. Nous nous savons relatifs. Par exemple, nous faisons journellement l'expérience de tout ce qui nous détermine. Nous aimerions être beaucoup plus libres que nous ne le sommes. Nous faisons beaucoup d'efforts pour outrepasser ce qui nous borne. Nous ne cessons de chercher à faire des progrès. Cette quête incessante de progrès nous mène même à risquer de détruire notre environnement et par là-même à nous détruire nous-mêmes.

Conscience de soi

Derrière cette conscience de nos limites, il y a la conscience que nous avons de nous-mêmes. Si nous n'étions pas capable de réfléchir sur nous-mêmes, nous ne serions pas en quête d'absolu. Pourtant, cette explication est encore insuffisante. Le singe à qui on peint une tâche sur le front pendant son sommeil et qui, à son réveil, tente de l'effacer ne semble pourtant pas vouloir dépasser ses limites. Il ne semble pas être en quête d'absolu. Qu'est-ce qui nous distingue donc des plus évolués des animaux qui possèdent avec nous autres humains le fait d'être conscients d'eux-mêmes ? Les anthropolo-archéologues affirment volontiers que le premier signe que l'homme n'accepte pas d'être purement relatif, réside en ce qu'il a eu besoin d'enterrer ses morts. Ce faisant il manifeste qu'il n'accepte pas cette ultime limite qu'est la mort. Il se veut éternel.

Besoin de dépasser l'autre ?

Mais cela n'explique toujours pas pourquoi soudain on ne s'accepte pas mortel. On a dès lors émis de nombreuses hypothèses. Par exemple le philosophe René Girard pensait que l'humain qui apprend par imitation – comme de nombreux animaux – a soudain eu besoin non seulement d'avoir ce que l'autre possède, d'être comme celui ou celle qu'il imite. Il a eu besoin de dépasser l'autre. Il lui fallait être plus fort, plus beau, plus riche, plus attirant que tous les autres. Cela n'explique pourtant pas encore pourquoi apparaît soudain ce besoin de dépasser son modèle et de ne pas se contenter d'être comme son modèle. Cela n'explique pas non plus pourquoi l'humain ne se contente pas de dépasser l'autre, mais désire devenir absolu. Pourquoi ne se contente-t-on pas d'être plus puissant qu'autrui, mais pourquoi a-t-on besoin d'être absolument puissant ?

Saut

Je pense qu'il faut admettre qu'il y a là un saut. Nous ne pouvons remonter en arrière de ce que nous constatons et qui n'est pas explicable : l'humain semble bien être le seul être vivant qui soit en quête d'absolu. Comme nous l'ont appris les sceptiques, il faut parfois suspendre son jugement et poursuivre la recherche à propos de l'origine de ce besoin d'absolu. Cela ne nous empêche pas de constater ce qui semble être une spécificité des humains, même si on ne peut pas l'expliquer.

Désespoir

Ce que l'on peut aussi constater c'est que ce besoin d'absolu fait le malheur de l'homme. Non seulement cela le mène à détruire son environnement et à menacer sa survie. Cela le conduit encore à désespérer de sa condition humaine. C'est que, en même temps qu'il se désire absolu, il se reconnaît incapable d'être éternel, tout-puissant, omniscient... Il n'aurait pas conscience de son insupportable relativité s'il n'avait pas l'idée d'absolu tout comme il ne serait pas en quête d'absolu s'il ne se savait relatif. Les grands singes, à ce que nous en savons, ne semblent pas désespérer de leur condition alors que l'homme le fait et ne cesse d'essayer de l'oublier, ne cesse de vouloir s'en divertir...

Où l'homme se crée des dieux

Le penseur allemand du XIXe siècle Ludwig Feuerbach a pensé que, sur la base de ce désespoir de notre finitude, nous nous étions inventés des êtres (ou un être) absolus dont nous attendons qu'ils nous fassent partager de leur absoluité, nous rendent éternels, libres, plus puissants et rationnels que nous ne le sommes déjà. L'homme se serait ainsi fabriqué un ou des dieux pour satisfaire un besoin d'absolu qu'il n'arrive pas à assouvir. Feuerbach et à sa suite tous les grands athéismes pense qu'il y a là une illusion. L'homme devrait s'accepter limité, contingent, déterminé. Il ne devrait pas perdre son temps et son énergie à honorer un ou des dieux illusoires. Il devrait mettre toute cette énergie à tenter de progresser autant que faire se peut dans les limites qui sont les siennes. Il n'a cependant pas besoin de dieux pour ce faire.

Incapable de s'accepter relatif

On peut cependant constater que l'athée feuerbachien qui tente de s'accepter relatif n'y arrive pas. Constamment les humains cherchent à se dépasser les uns les autres. Ils rêvent d'un pouvoir absolu, d'intelligence totale du monde, d'une liberté sans limite... Force est de constater que l'homme n'a pas le pouvoir de s'accepter relatif. Il n'a pas plus la maîtrise de sa non-maîtrise que celle de sa maîtrise du monde.

Là où le christianisme n'est pas une religion comme les autres

Que propose le christianisme en la matière ? Ne postule-t-il pas, avec toutes les religions, l'illusion qu'existe un être absolu qui partage avec nous un peu de son absoluité ? Ne fait-il pas référence à un être immortel qui nous permet à notre tour de devenir immortels... ?

Je ne crois personnellement pas que le christianisme se résume à cela. Même plus : le christianisme part sur une tout autre base. Le chrétien ne se fait pas d'abord de représentation de l'absolu qu'il ne peut pas être. Il part d'une parole qui lui a été dite et mise en pratique il y a maintenant deux mille ans par Jésus de Nazareth.

Au départ une parole

Cette parole affirmait que chaque individu est aimé inconditionnellement, donc absolument. Cette parole qui nous suscite comme personne dont la valeur est incommensurable a toutefois été prononcée et mise en œuvres par un être qui était loin d'être tout-puissant, omniscient ou éternel. Il fut impuissant face aux puissances mondaines de la religion et de la politique. Il fut incapable d'éviter la mort atroce qui fut la sienne. Certes il manifesta à sa manière une forme de liberté radicale. Certes, dans ses débats avec ses contemporains, il montra une autorité hors normes. Mais pour l'essentiel il resta une homme limité, relatif, borné. Reste que la parole qu'il proféra et incarna avait des prétentions à l'absoluité. Elle ne pouvait provenir – pour autant qu'elle soit reconnue comme vraie – que d'un être absolu.

M'accepter limité au service d'une cause absolue

Cette parole qui me dit que je vaux inconditionnellement me permet d'accepter ma condition d'être limité. Si je la considère comme vraie, je n'ai plus besoin de vouloir impérativement dépasser mes limites, sinon celles que m'imposent ma paresse. Je n'ai plus besoin de devenir moi-même absolu. Par contre cette parole m'incite, dans les limites qui sont les miennes, à mettre ma vie au service de cet absolu. Elle m'invite à participer à la lutte de cet absolument aimant contre tous les maux qui habitent notre monde et notre humanité. Elle m'encourage en particulier à résister à toutes nos tentations humaines trop humaines de toute-puissance, d'omniscience, de totale liberté qui sont autant de maux qui font courir l'humanité à sa perte et nos vies individuelles au désespoir.

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