Miracle

Jésus marche sur les eaux
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Jésus marche sur les eaux

Miracle

29 janvier 2024

En christianisme, le miracle ne cesse de faire problème. C'est surtout le cas à une époque comme la nôtre où la science a pris une importance considérable. On critique alors volontiers, de l'extérieur et au nom de la raison, le christianisme et sa foi aux miracles. Mais c'est aussi le cas à l'interne du christianisme où l'on se demande souvent pourquoi il n'y a plus autant de miracles aujourd'hui qu'à l'époque du Christ et des premières Eglises. Oh certes, certaines Eglises se sont fait une spécialité d'encore et toujours réaliser des miracles afin de prouver qu'elles sont les vraies Eglises de Jésus-Christ, le faiseur de miracle...

Nous vivons effectivement à l'heure de la science triomphante (et de ses applications techniques). Que fait la science ? Elle cherche les causes et les causes des causes, etc.... Quand un fait constaté, déduit ou même raconté – comme dans le cas des miracles – est sans cause reconnaissable, en bonne méthode, la science doit suspendre son jugement et poursuivre la recherche pour tenter d'en expliciter la ou les cause(s). Mais bien souvent on ne se contente pas de suspendre son jugement et de poursuivre la recherche. On affirme qu'un événement rapporté qui ne possède pas de cause manifeste relève de la pure et simple fabulation. On s'en désintéresse complètement et on accable de ses sarcasmes qui pense qu'un tel récit pourrait avoir quelque intérêt. Ce n'est plus là cependant la science qui parle, mais ce que l'on peut qualifier de mentalité pseudo-scientifique.

Cette mentalité, lorsqu'elle a affaire, par exemple au récit qui nous conte comment Jésus a marché sur les eaux pour rejoindre ses disciples sur la mer démontée par le vent (Marc 6.45-52), affirme la chose tout simplement impossible et donc dénuée de sens. Au contraire la science, si elle poursuit sa recherche, constatera d'abord que les auteurs des évangiles qui rapportent le miracle de Jésus marchant sur les eaux appartiennent à un âge préscientifique. Cela la mentalité pseudo-scientifique l'oublie allègrement. Dès lors plutôt que de se demander « Est-ce que un tel « miracle » peut vraiment avoir eu lieu ? », la bonne question que la science (historique) posera au texte est « Qu'est-ce que l'auteur du texte a voulu me transmettre sur Dieu, sur le monde et sur moi-même en me racontant cette histoire ? »

Certes à l'âge de la science triomphante, on ne pourrait plus raconter les choses comme on le faisait à l'époque de la Bible. On n'aurait du reste aucun intérêt à raconter, même dans une fiction déclarée telle, en prenant toutes les précautions possibles et imaginables, l'histoire de quelqu'un qui marcherait sur les eaux. En quoi un tel récit qui s'affirmerait lui-même purement fictif modifierait-il, en effet, en quoi que ce soit la compréhension que j'ai de Dieu, du monde ou de moi-même ? Un tel récit ne pourrait que scandaliser faussement ceux qui le liraient. Mais il se trouve que les évangiles nous racontent une telle histoire. Que veulent-ils donc me dire sur ma relation à Dieu, au monde et à moi-même ?

Commençons par notre relation à Dieu. La première idée qui vient en lisant ce passage de Marc, c'est que l'auteur veut affirmer que Jésus est Dieu. Il est le maître des éléments naturels dont on pensait qu'ils étaient manipulés par des forces démoniaques. C'était en particulier le cas des eaux et des vents. Marcher sur les eaux n'est donc guère différent de guérir un malade, un handicapé ou même que redonner la vie à un mort. A chaque fois il s'agit, en Jésus, d'une victoire de Dieu sur les forces démoniaques qui menacent nos vies. Allons encore un peu plus loin : une force démoniaque, traduit en termes actuels, c'est une réalité qui me menace, me déstabilise et donc m'angoisse. C'est le cas de la maladie, des forces de la nature déchaînées et ultimement de la mort.

Pourtant ici une objection surgit. Pourquoi les évangiles nous racontent-ils autant de miracles si c'est toujours pour nous dire la même chose ? Trois ou quatre miracles par évangile auraient largement suffit s'il fallait simplement affirmer que Jésus est Dieu et donc ultimement qu'il est maître des forces démoniaques qui nous menacent ? Pour répondre à cette objection, il convient d'aller chercher du côté de ce que tel miracle m'apprend sur mes relations à moi-même et au monde. Alors on pourra dégager des différences significatives entre les récits de miracles.

Pour le montrer prenons le récit brut de Marc sans, comme chez Matthieu, que Pierre y fasse son numéro manqué d'imitation du maître marchant sur les eaux. Qu'est-ce que ce récit nous apprend sur les disciples qui sont mes lieu-tenants dans une telle narration ? D'abord qu'ils sont effrayés par le vent qui démonte la mer. Ensuite que cette frayeur est renforcée par l'apparition de ce qui leur semble être un fantôme. Et que leur apporte Dieu-Jésus ? Une incitation à ne pas avoir peur, à faire preuve de courage, car « c'est moi » dit Jésus. Dans un premier sens, ce « c'est moi » peut être légitimement compris comme « ce n'est pas un fantôme, c'est moi votre maître qui vous viens en aide ». Mais pour qui connaît un tant soit peu le contexte biblique, « c'est moi » se dit en grec « ego eimi ». Or ces deux mots grecs sont l'une des traductions possibles de l'énigmatique auto-désignation de Dieu à Moïse dans l'histoire du buisson ardent (Exode 3.14). C'est moi signifie donc aussi ce n'est personne d'autre que Dieu... Et je suis avec vous quelles que soient les circonstances. L'affirmation que Jésus est Dieu en personne n'a de sens que dans la mesure où Dieu entre en Jésus en relation avec ses disciples ou ses contemporains en général. Elle n'a de sens que parce que dans notre récit, Dieu vient en aide à des humains désemparés. Et cette aide consiste ici à leur redonner courage et absence de crainte. Dans un miracle très proche de celui-ci, la tempête apaisée (Marc 4.35ss.), le même évangile insiste plutôt sur la confiance que les disciples auraient dû avoir face à une mer également déchaînée. Et dans l'épisode de la tempête apaisée, Jésus n'encourage pas tellement ses disciples comme en Marc 6. Il leur reproche leur manque de confiance en Dieu, ce qui lui aurait épargné de réaliser le miracle qu'il a entrepris. Chaque récit de miracle contient ainsi un enseignement sur notre relation à Dieu, au monde et à nous-mêmes qui diffère quelque peu. C'est à ce titre que chacun à sa raison d'être raconté.

Il est toutefois vrai que derrière tous les récits de miracle, une même promesse est adressée au lecteur des évangiles. Cette promesse, c'est que notre avenir n'est jamais bouché, mais, grâce à Dieu, ouvert. Le miracle par excellence qui toujours est le même, sous des modes divers et avec des conséquences différentes pour notre compréhension de nous-mêmes, réside dans la libération à l'égard de notre passé et à l'égard de nos craintes face à l'avenir pour pouvoir vivre pleinement notre présent. Le grand théologien allemand du XXe siècle Rudolf Bultmann pouvait ainsi dire que le seul miracle est en définitive celui du pardon des péchés. Il s'agit effectivement d'un miracle inouï que rien n'explique dans l'histoire humaine et en particulier dans l'histoire des religions où tout en général se paye. En pardonnant au humains leur péché, Dieu ouvre effectivement leur avenir. Or ce miracle se répète journellement pour qui sait entendre la promesse contenue dans les miracles particuliers qu'on nous conte dans les évangiles...

 

( à suivre...)

 

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