En quête de cohérence

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Grande Dixence
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En quête de cohérence

22 janvier 2024

Tout le monde a besoin de cohérence au plus intime de ce qu'elle ou il est. Toutes les sagesses et spiritualités offrent leur solution pour coller à soi-même. On ne cesse de chercher depuis le fond des âges des recettes pour faire coïncider intérieur et extérieur. C'est qu'il est insupportable d'être distendu entre des exigences contradictoires. Toute tension est, en effet, gage d'angoisse. Et ainsi passons-nous notre vie entière à tout mettre en œuvre pour répondre aux angoisses qui ne cessent de nous travailler. Nous avons besoin de cohérence dans nos vies et devons nous battre pour tenter de retrouver cette cohérence que l'on ne cesse de perdre.

J'aimerais aborder aujourd'hui un aspect seulement de notre quête de cohérence. Partons d'abord de ce constat que, si notre compréhension du monde manque de cohérence, nous sommes incapables de trouver de la cohérence au cœur de nos vies. On ne sait comment se comporter dans un monde qui nous surprend constamment. On risque d'être toujours remis en question dans nos repères de vie si notre compréhension du monde est par trop incertaine. Notre besoin de cohérence intérieure est ainsi à l'origine de notre besoin de comprendre notre environnement, de lui trouver une cohérence.

Rétrécissons encore notre angle d'attaque et prenons un seul exemple : celui de l'énergie électrique en Suisse. Divers acteurs nous donnent des chiffres qui nous indiquent les efforts à réaliser si l'on veut arriver à la « neutralité carbone » en 2050. L'Association des entreprises électriques suisses estime qu'il faudra au moins 37 térawattheures d'électricité supplémentaire d'ici 2050. Ces même entreprises nous informent que les grands projets actuels qui devraient être réalisés d'ici cette date augmenteront la production électrique de 4TWh. Or où trouver les 33 autres TWh, c'est-à-dire 50% de plus qu'actuellement (62TWh). Il se pourrait fort que les producteurs d'électricité nous invitent à admettre que la seule solution réside dans la construction ultra-rapide de centrales nucléaires. Les défenseurs du photovoltaïque et de l'éolien nous affirment que d'ici 2035 on peut fabriquer aisément jusqu'à 37 TWh. Mais ici personne ne nous dit comment régler le problème du stockage de cette électricité en grandes quantités. Comme chacun le sait, produite en abondance de jour et en été, cette électricité ne l'est pas de nuit et peu en hiver. Certains affirment alors qu'il faudrait construire très rapidement plus d'une dizaine de centrales de pompage-turbinage avec des barrages de la taille de la Grande Dixence ! Et cela sans compter que pour produire et renouveler notre parc d'éoliennes et de cellules photovoltaïques il faut dépenser des quantités énormes de CO2 , quantités que l'on prend rarement en considération ! Chacun y va donc de son projet et de l'affirmation de ses convictions, mais où est la vérité ?

Pour arriver à cette fameuse neutralité carbone, on promeut la mobilité électrique. Or dans les 37 TWh à produire en plus par rapport à la situation actuelle (62 TWh) sont compris les 15-20% d'électricité supplémentaires toujours par rapport à la situation actuelle exigés par les seules voitures et camions électriques. Ne pourrait-on pas beaucoup économiser sur ces 12 TWh si, plutôt que d'encourager à passer du véhicule à moteur thermique au véhicule à moteur électrique on développait considérablement les transports en commun et incitait à les utiliser en en baissant drastiquement les prix ? Or c'est le contraire qui nous est imposé : augmentation du prix des billets et milliards mis dans l'élargissement des autoroutes.

Restons encore un instant avec la voiture électrique. En moyenne elle possède un bilan carbone meilleur qu'une voiture diesel après avoir parcouru 100'000 km. Or une voiture importée en Suisse y roule en moyenne pendant 9 ans et parcourt, toujours en moyenne, 12'000 km par an. La voiture électrique devient tout juste économe en carbone au moment d'aller à la casse ! Dans ces conditions à quoi bon passer à l'électrique ?

Ces chiffres, glanés pendant le mois « électoral » d'octobre passé, sont peut-être discutables. Peu importent en fait ici les chiffres exacts. Ce qui m'importe, c'est de constater le manque de vision globale offert au citoyen lambda de ce qu'il faut faire d'ici 2050 pour atteindre l'objectif que l'on s'est donné. On n'a pas de vision cohérente parce que personne ne met tous les éléments du problème sur la table. On sent que derrière ces chiffres partiels se cachent des intérêts particuliers : probablement ceux des pro-nucléaires, ceux des vendeurs de panneaux solaires, ceux des vendeurs de voitures, des constructeurs d'autoroutes à six pistes, etc. etc...

Dans la mesure où je n'arrive pas à avoir une image cohérente de ce qu'il faudrait faire, je ressens un certain malaise. Une angoisse bien présente ou diffuse se fait jour. Comme malaise et angoisses ne sont guère supportables, je me dois de prendre des décisions.

Et, comme, au vu du panorama incohérent qui m'est présenté, je ne sais que décider, je décide peut-être – comme beaucoup – de ne rien décider. Continuons comme avant. Quand la situation climatique deviendra trop insupportable, il sera temps de prendre des mesures. En quelque sorte : « Après nous le déluge ! » Cette attitude est cependant peu à même de calmer nos angoisses face à un avenir si incertain.

D'autres décideront de faire confiance à cette technique qui nous a menés à la situation catastrophique que nous connaissons en matière d'écologie. On se convainc qu'on trouvera bien des solutions techniques aux problèmes posés par la technique. Le risque est de faire toujours plus de la même chose, sans n'avoir, de plus, aucune certitude de trouver à temps les solutions techniques idoines (la fusion nucléaire par exemple).

Une petite minorité semble décider que la seule solution est la décroissance ou, par euphémisme, la sobriété, la frugalité. Mais dès qu'on parle de décroissance, la très grande majorité de la population pousse de hauts cris. « Décroître est impossible ». « Voyez les sacrifices qu'il faudrait faire ». « Que les mieux nantis commencent par donner l'exemple de la décroissance ! » Il est vrai que si on n'arrive pas à un consensus à propos de la sobriété, si seule une petite minorité y croit, ce n'est pas là une solution politiquement acceptable.

J'aimerais donc pouvoir décider de mesures à prendre pour éviter la catastrophe, mais aucune mesure cohérente ne se profile à l'horizon. Mon petit malaise de tout-à-l'heure devient plus gros, mes angoisses diffusent deviennent vraiment vives. Me faut-il renoncer à mon exigence de cohérence, de vérité existentielle pour apaiser mes tourments ? Pourtant la politique dite de l'autruche est impossible ! Nous sommes ainsi faits que nous avons besoin de vérité. Même celui ou celle qui affirme que rien n'est vrai a la prétention de convaincre son auditeur d'une vérité, à savoir que rien n'est vrai.

Que propose alors le christianisme en pareille situation ?

Il nous rappelle qu'une promesse nous a été adressée en matière de cohérence et de vérité de vie. Jésus a incarné une vie cohérente. C'est ce que les évangélistes entendent quand ils parlent, par exemple, de son autorité. Cette cohérence de vie se marque encore lorsque Jésus accepte les conséquences de sa mission : le scandale et la mort. A Gethsémané il eût beaucoup aimé que la mort et ses souffrances lui soient épargnées, mais dit à son Père : «  Non ce que je veux, mais ce que tu veux » (Marc 14,36). Cet aveu de radicale dépendance est gage de sérénité, elle-même condition de cohérence. Lorsqu'on se fait radicalement dépendre de Dieu, on est libéré pour aussi faire ce qui est raisonnable.

Or qu'est-ce qui est raisonnable dans un monde qui nous apparaît radicalement incohérent ? L'application du principe de précaution ! Il convient de choisir ce qui risque de causer le moins de dommage, de permettre à l'humanité de vivre le moins mal possible. Malheureusement, cela signifie, dans la situation qui est la nôtre, accepter de prendre les mesures les plus radicales. Parmi les solutions évoquées ci-dessus, cela revient à parier sur la frugalité. Elle seule doit nous permettre d'approcher une économie zéro carbone vers 2050 sans avoir à produire excessivement d'électricité en plus de ce que nous produisons actuellement, voire à diminuer notre production actuelle (centrales nucléaires). Comme la décroissance doit se faire de manière juste, il ne faut pas faire de l'impératif de décroissance un moto personnel seulement. Il convient que les chrétiens qui cherchent la cohérence militent pour une décroissance de la société et s'engagent donc politiquement en ce sens.

 

Note : un café théologique essayera de réfléchir aux raisons pour lesquelles, alors que nous savons parfaitement ce qu'il faudrait faire, nous ne le faisons pas (Centre Culturel des Terreaux à Lausanne, lundi 29 janvier 19h-21, entrée libre, collecte)

 

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