Denis Müller: «En éthique, il n’y a pas de formule magique»

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Denis Müller: «En éthique, il n’y a pas de formule magique»

Vincent Volet
17 mai 2013
Le professeur d’éthique Denis Müller, directeur du «Dictionnaire encyclopédique», montre ce qui distingue l’éthique chrétienne
Le magazine "A vue d'esprit" sur RTS Espace 2 lui consacre une série d'émissions dès le 17 juin.* (Peinture: Kant)

, Bonne Nouvelle, le mensuel de l'EERV

A qui s’adresse votre «Dictionnaire encyclopédique d’éthique chrétienne»?


Denis Müller*: C’est un travail de cinq ans, qui s’adresse à un vaste public cultivé. Aux chrétiens de toutes confessions, mais pas seulement. A toute personne intéressée par le christianisme aussi.

L’éthique, c’est l’ensemble des critères qui déterminent mon choix lorsque j’agis? 


On peut le dire ainsi, oui. En précisant que ces critères pourraient déterminer mon choix mais que cela ne se passe pas toujours ainsi dans les faits. Notre dictionnaire ne donne pas de réponses à tout. Il fait circuler des idées entre différents thèmes. Il apporte une réflexion critique sur la morale, et affiche sa couleur chrétienne. Une présentation d’envergure manquait dans ce domaine. C’est une nouveauté.

Qu’est-ce qui distingue une éthique chrétienne d’une autre, qui ne le serait pas?


C’est la question de base de vingt-cinq ans d’enseignement du Pr Müller (rires). L’éthique chrétienne s’appuie sur le système de valeurs propre au christianisme dans son ensemble. C’est la dimension pratique de la foi qui se trouve dans la Bible et dans le vécu des chrétiens.

Cela ne veut pas dire qu’elle soit meilleure ou plus vraie. Il en existe d’autres, y compris une éthique athée, et des chrétiens défendent des positions tout à fait opposées. Je ne suis pas un relativiste. J’admets qu’il y a des comportements et des actes qui correspondent mieux à l’esprit de l’Evangile. Nous devons les chercher et les déterminer. Notre dictionnaire nous y aide.

Dans la société laïque d’aujourd’hui, devons-nous nous appuyer sur une éthique chrétienne, les musulmans sur une éthique musulmane?


Chaque religion a son éthique propre. Chaque parti aussi, voire chaque profession. On parle de l’éthique des banquiers, ou de son absence, de celle des footballeurs... Nous ne devons pourtant pas céder à la tentation du communautarisme, comme si l’éthique devait être compartimentée par groupes. Il n’y en a qu’une, mais elle est colorée par des traditions différentes. Il n’y a pas de fossé mais des variations, qui peuvent mener à des évaluations divergentes.

En 2200 pages, vous traitez plus de 200 articles. Est-ce un guide qui permet à chacun d’évaluer rapidement ses choix et ses actions?


Le dictionnaire est un ouvrage de consultation. Il ne va pas donner une réponse à toutes les questions. Il aidera le lecteur à forger sa position selon le problème du moment, que ce soit la trinité, le clonage, l’avortement ou la masturbation… Il n’y a pas de formule magique en éthique. Il est illusoire de penser qu’il existe une formule en deux mots pour savoir tout ce qu’il faut faire.

Nous devons résister à la tentation de formules de ce genre et du prêt-à-porter éthique. Chacun aimerait détenir ce sésame, le E=mc2 de l’éthique, une sorte d’emballage cadeau qui la contiendrait toute et facilement accessible. Les réponses doivent être à la hauteur de la complexité des questions. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de réponses simplettes.

A chaque fois et pour chaque domaine, la réflexion est à reprendre à zéro?


Pas tout à fait à zéro. Nous avons des bases: l’éducation, la formation, les exemples que d’autres personnes nous montrent. Comme M. Jourdain avec la prose, nous faisons tous de l’éthique sans le savoir. De bonnes questions éthiques vont nous réveiller, nous faire sortir de notre routine. Regardez ce qui se passe avec la bioéthique, l’adoption par des couples homosexuels. Ces questions ne se posaient pas du tout il y a quelques années.

Depuis Kant, nous savons que nos choix ne peuvent pas s’appuyer sur un savoir scientifique. Quand nous agissons, qu’est-ce qui nous indique que nous faisons le bon choix?


Kant était un grand éthicien. Le dictionnaire présente un article sur le kantisme. L’éthique ne repose pas sur le savoir scientifique, elle ne dérive pas de la connaissance que nous avons de la nature. Nous pouvons avoir des sentiments moraux, par exemple face à l’injustice, qui nous aident à percevoir les questions éthiques. Je suis toutefois partisan d’une éthique argumentée par des principes rationnels. C’est là que je cherche les solutions.

*L'émission A Vue d'Esprit en compagnie de Denis Müller sera disponible à l'écoute à partir du lundi 17 juin au vendredi 21 (16h30 - 17h sur Espace 2). Elle s'intitule: "Denis Müller: une éthique sans étiquettes".