Alberto Bondolfi : « La variante régionale est très forte en éthique »

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Alberto Bondolfi : « La variante régionale est très forte en éthique »

Anne Buloz
30 août 2011
Le théologien Alberto Bondolfi
poursuit son activité à la Commission nationale d’éthique (CNE) dans le domaine de la médecine humaine jusqu'en 2013 alors que le Tessinois a donné son dernier cours à la Faculté de théologie de l’Université de Genève il y a peu. Tour d'horizon des questions, qui occupent les éthiciens comme le don d'organes, les bébés-médicaments ou l'euthanasie.

L'éthicien est-il pour le Tessinois la version contemporaine du prêtre ou du pasteur ? « Non, mais il n’est pas non plus en contradiction avec cette fonction ! »


En éthique, les sensibilités régionales sont au moins aussi fortes que les sensibilités religieuses, voire davantage. « Il y a des sensibilités régionales sur la manière de voir l’éthique, qui sont dues à des cultures différentes. La variante régionale est plus forte que l’appartenance à un parti ou à une église. Les Suisses alémaniques sont par exemple très préoccupés par les critères de la mort cérébrale, ce qui n’est pas le cas de la majorité latine. Leur attitude très différente se répercute sur la médecine des greffes puisque seulement la moitié des organes disponibles vient de la Suisse alémanique, alors qu’elle représente plus des deux tiers de la population », poursuit Alberto Bondolfi.

Le débat sur le don d’organes

On le sait, la Suisse est un « mauvais élève » en matière de dons d’organes : « La diversité régionale fait que nous sommes le dernier de la classe. Les cantons du Valais et du Tessin comptent cependant le même taux que l’Espagne. Si toute la Suisse avait ce même pourcentage, nous aurions la médaille d’or. Il faut travailler sur les causes pour améliorer la situation ».

Un Conseiller aux Etats a déposé un postulat pour que le Conseil fédéral adopte le consentement tacite, tout citoyen devenant automatiquement donneur sauf indication spéciale de sa part. Une position qui fait débat et qui ne résoudrait de toute façon pas le problème, selon Alberto Bondolfi : « Nous avons essayé de dédramatiser cette question car le nombre d’organes à disposition n’augmenterait pas de façon significative. Actuellement, le plus grand chantier concerne la distribution. A qui donner l’organe en priorité lorsqu’il y a pénurie ? La Confédération nous a demandé de faire une recherche éthique sur ce problème ».

Xénogreffes : pas une option A l’heure où le don d’organes ne va pas de soi, les transplantations d’un animal à l’homme, les xénogreffes, seront-elle bientôt un autre sujet de débat ? « Non, le dossier est clos. Il y a eu des discussions très vives sur une éthique de principe. Les difficultés factuelles sont tellement fortes, avec le danger d’infections zoonotiques et le risque trop élevé qu’une maladie passe de l’animal à l’être humain, qu’il n’y a plus d’essais cliniques au niveau mondial. Le clonage reproductif est un autre chantier en repos, car les scientifiques ne sont pas intéressés ».


L’utilisation des cellules souches reprogrammées à partir d’un spermatozoïde ou d’un ovule, ce qui permet de créer une cellule performante sans utiliser d’embryon, reste en revanche au cœur de l’actualité. A partir de quel critère faut-il protéger une cellule est une des questions auxquelles doivent répondre les éthiciens.

Favorable aux bébés-médicaments

Quant aux bébés-médicaments, Alberto Bondolfi raconte être parvenu à convaincre une grande partie de la CNE d’autoriser cette pratique, permettant de concevoir ces enfants dans le but de sauver leur aîné souffrant d’une maladie grave. La sélection d’un embryon sain et génétiquement compatible permet une greffe de sang du cordon ombilical ou de moelle osseuse après la naissance.

La première prise de position de la CNE y était opposée : « Le discours était que le bébé n’est pas voulu pour lui-même mais est l’instrument de son frère. Pour moi, l’instrumentalisation n’est que partielle, car le bébé est ensuite éduqué et aimé comme les autres. De plus, ce n’est pas la tâche d’un état de droit de regarder dans l’intime conscience des parents. C’est une affaire privée. La deuxième prise de position de la Commission a été pour ».

Vers davantage de libéralisme sur l’euthanasie


Le débat sur le suicide assisté reste lui aussi à l’ordre du jour. « Nous avons dit que cette question devrait être réglée autrement que par la loi fédérale actuelle. Les deux premières tentatives n’ont rien donné (ndlr : idem avec la troisième) », rappelle Alberto Bondolfi. Mais il n'a pas été entendu.

La récente votation à Zurich, où près de 80% des électeurs se sont prononcés pour le maintien de l’aide au suicide, a pesé de tout son poids. La conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a dans la foulée penché pour le statu quo au cours de la dernière révision.

« Les personnes qui ont lancé cette initiative n’avaient pas comme seul but de régler les choses dans le canton de Zurich. Le gouvernement aurait d’ailleurs pu déclarer cette initiative nulle. Ce sont des signaux donnés au Conseil fédéral pour qu’il s’active. Le fait que 80% des Zurichois ont rejeté ce texte limitatif est interprété comme si 80% de la population suisse est pour le suicide assisté. », explique le professeur en éthique.

Conseiller le Conseil fédéral

La CNE, qui a une position exclusivement consultative, n’est pas un lieu de décision.
Sa voix n'est donc pas systématiquement entendue au moment où les lois se décident. « Nous sommes écoutés mais pas toujours suivis. Nous avons par exemple influencé la décision du Parlement en choisissant de nous exprimer la veille du débat sur le diagnostic préimplantatoire. Nous avons convaincu la majorité de prendre position pour la levée de l’interdiction », se réjouit le Tessinois.

Les prochains sujets qui attendent la CNE? « Cela devrait être les neurosciences et les nanotechnologies », conclut Alberto Bondolfi.

*La Commission nationale d’éthique est un organisme indépendant chargé de prendre position sur les développements scientifiques et leurs applications dans les domaines de la santé et de la maladie chez l’être humain. Elle est composée de dix-neuf personnes, parmi lesquelles deux théologiens, des philosophes et des juristes.

Un catholique en fac protestante

« Je suis catholique. Si je suis entré dans une faculté protestante, ce n’est pas dû à une volonté œcuménique de leur part mais pour des raisons patriotiques, raconte Alberto Bondolfi. Ils voulaient engager un Suisse pour ce nouveau poste en éthique ! Le fait que je sois catholique ne les dérangeait pas ».

Alberto Bondolfi a quitté le Tessin, où il est né, après l’obtention de sa maturité pour étudier la philosophie et la théologie à l’Université catholique de Fribourg. Il y a ensuite enseigné avant de rejoindre l'Institut d'éthique sociale de l'Université de Zurich, en tant que collaborateur scientifique et chargé de cours.

Le Tessinois a plus tard poursuivi sa carrière dans d’autres facultés protestantes, comme professeur associé en éthique à l’Université de Lausanne, puis à Genève depuis la réorganisation des Facultés de théologie : « Une fois entré, j’ai continué dans ce milieu. Entre temps, les choses ont beaucoup changé. Les Facultés de théologie luttent pour leur existence en Suisse Romande et ont fait un pacte de solidarité ».

Des positions peu catholiques


Ancien membre de « Justice et Paix », la Commission suisse d’éthique catholique, et ancien président de la Conférence européenne de cet organisme, Alberto Bondolfi n’occupe désormais plus de tâches importantes au sein de l’Eglise catholique : « Je n’y ai plus de lien institutionnel ni de tâche précise mais je reste membre de mon Eglise et j’ai de bons contacts avec elle ». Pourtant, ses prises de positions sont souvent éloignées de celles défendues par l’Eglise catholique.

« Je ne cache pas que je ne partage pas certaines de ses positions et que j’ai des opinions quelquefois différentes. Je pense d’ailleurs que c’est l’une des causes pour lesquelles je n’ai plus de tâche au sein de l’Eglise catholique. Je ne suis ni un martyr ni un marginal. Je suis en bonne compagnie car je partage cela avec de nombreux professeurs de facultés catholiques, très reconnus, qui n’ont pas non plus des positions suffisamment conformes ! Il faut dire que ce n’est pas facile de soutenir certaines positions éthiques et bioéthiques de l’Eglise catholique », reconnaît Alberto Bondolfi.


Pas d’arguments tirés de la Bible

Pour Alberto Bondolfi, « défendre certaines valeurs morales, comme la dignité, l’équité, la justice, la liberté ou les notions de partage, n’est pas le monopole des théologiens ou des chrétiens. Nous sommes tous dans cette Commission à titre personnel. Nous n’argumentons pas en fonction de ce que dit le Pape ou de ce qui est écrit dans la Bible mais suivant notre interprétation personnelle. Les conclusions auxquelles nous arrivons peuvent être différentes car chacun d’entre nous lit la réalité avec d’autres lunettes. Nous faisons une appréciation des nouvelles technologies et des pratiques à partir de notre propre sensibilité ». AB