Société: le deuil d'un enfant mort-né enfin pris en compte

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Société: le deuil d'un enfant mort-né enfin pris en compte

10 janvier 2001
La détresse des mères dont l'enfant est mort avant, pendant ou juste après la naissance, la peine qu'ont les familles à faire le deuil d'un nouveau-né dont on a escamoté la mort, ont fini par être prises en compte


Plus question de faire comme si de rien n'était, comme si l'enfant n'avait jamais existé. On ne refuse plus aujourd'hui le statut d'endeuillés aux parents d'un enfant mort-né et on les encourage à lui donner un prénom, à l'inscrire dans le livret de famille, à l'enterrer dignement. Très récentes, ces pratiques seront au centre des préoccupations de la Conférence des Femmes de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) qui aura lieu le 20 janvier prochain. Rencontre avec le Docteur Anne Courvoisier, psychanalyste à Genève, pionnière de l'accompagnement des familles frappées la mort périnatale d'un enfant qui animera l'un des ateliers de cette journée.Clinicienne du deuil, le Dr. Anne Courvoisier a compris très tôt l'importance d'aider les parents à parler de l'enfant qu'ils viennent de perdre, à l'inscrire dans l'histoire familiale, à garder des souvenirs de son bref passage. "Il ne faut en aucun cas banaliser ce qui leur est arrivé, mais les aider à faire le deuil de leur enfant perdu."

Le Dr. Anne Courvoisier propose d'accompagner les parents lors l'accouchement de l'enfant mort in utero et leurdemande s'ils veulent le voir, garder un souvenir de lui, une photo ou son bracelet d'identification. Elle leur conseille aussi de le nommer, de l'inscrire dans le registre de l'état civil avec son prénom et dans le livret de famille. Depuis 1996 en effet, à la suite d'une intervention de la députée libérale Suzette Sandoz au Conseil national, on peut inscrire l'enfant mort à la naissance avec son prénom si ses parents le désirent.Avant l'entrée en vigueur de cette nouvelle disposition,l'enfant mort-né n'était pas considéré comme un personne juridique,il ne pouvvait donc pas avoir de nom.

§Aider les parents à s'apaiserAnne Courvoisier demande ensuite aux parents de réfléchir à une cérémonie de recueillement et aux modalités d'ensevelissement, et leur propose les services d'un aumônier, d'un pasteur ou d'un prêtre.

"Pour certains catholiques ,précise la thérapeute, rien n'est plus dur que de savoir leur enfant mort sans avoir reçu le sacrement du baptême. Ils n'ont même pas l'espoir de le retrouver dans l'au-delà, puisqu'il est censé se trouver dans ce qu'on appelait au moyen-âge les limbes. Parfois, devant la détresse des parents, j'insiste auprès du prêtre pour qu'il ondoie l'enfant mort-né, pour permettre aux parents de s'apaiser".

Son accompagnement se poursuit lors du retour de la mère à son domicile. Après les résultats de l'autopsie, elle aborde la cause du décès de l'enfant, surtout si la mort a été "inexpliquée", ce qui rend le deuil souvent encore plus intolérable.

Enfin elle propose enfin au couple de faire une thérapie de deuil et se tient à sa disposition pour suivre, si nécessaire, la grossesse suivante et leur rappeler, le moment voulu, qu'ils attendent un autre enfant que celui qu'ils ont perdu.

§Eviter l'enfant de remplacementLe danger est que tout ce qui a été investi sur le bébé mort à sa naissance soit reporté sur l'enfant qui vient ensuite, considéré comme "l'enfant de remplacement". Cela peut gravement empoisonner la vie de ce dernier, à l'image du peintre Vincent Van Gogh, auquel ses parents donnèrent le même prénom que son frère aîné mort une année exactement avant sa naissance. "Les exigences des parents à l'égard d'un enfant de remplacement sont souvent démesurées et pathologiques" constate Anne Courvoisier qui a eu l'occasion au cours d'une étude, de s'entretenir avec septante-deux femmes qui avaient accouché d'un enfant mort-né après la vingt-huitième semaine de grossesse, dont soixante-quatre avaient eu depuis un ou deux enfants nés normalement. Elle souligne l'importance de l'enfant imaginaire, c'est-à-dire de celui que les parents avaient imaginé et dont ils avaient rêvé.

"La pratique des échographies prénatales qui permet la visualisation du fœtus contribue à lui donner une réalité aux yeux des parents. Ainsi bien avant sa naissance, ce fœtus est déjà pour eux un véritable enfant. L'annonce de la mort ou de la malformation grave d'un fœtus entraîne chez les parents un choc en raison de la violence de cette révélation. Le couple vit souvent l'annonce du diagnostic comme une disparition immédiate du bébé. Ce diagnostic entraîne chez les parents la disparition brutale de leur enfant imaginaire".

§Comme si l'enfant n'avait pas existé"En faisant comme si de rien n'était, ils font comme s'il n'était rien", témoigne une mère après avoir accouché d'un fils mort-né. "L'échographie a vraiment été pour moi un choc! J'ai passé brutalement d'une grossesse sans histoire à la mort, du bonheur au désespoir", se souvient cette autre mère. J'avais peur de mon ventre, je le regardais avec horreur, la sensation de porter un être mort, ça fait une peur terrible!"

Aborder ouvertement la question de la mort périnatale et accompagner les parents dans le deuil d'un enfant mort à la naissance ne sont pas encore véritablement entré dans les mœurs. Il n'y a pas si longtemps, - et parfois encore maintenant -, la mort d'un nouveau-né était entourée de silence. On faisait comme s'il n'y avait pas eu d'enfant, comme si la femme n'avait pas accouché, comme si elle n'était pas mère. Dans les cimetières, aucun endroit n'était réservé aux petits défunts. Certaines religions, comme le judaïsme, interdisent l'enterrement des enfants morts-nés.

Bien souvent, les mères ne savaient même pas où se trouvait le corps de leur bébé. Il n'existait plus de trace tangible de son existence, si courte fût-elle, ni dans un registre de l'état civil, ni dans un livret de famille, encore moins dans la fratrie ou au cimetière. Le corps de l'enfant mort avant la naissance et dont les parents n'assumaient pas les funérailles était traité collectivement avec les déchets anatomiques des hôpitaux. Au traumatisme du décès périnatal des parents s'ajoutait celui de la non-reconnaissance civile et sociale de leur enfant décédé, et par là même la non reconnaissance de leur douleur. Dans ces conditions, il leur était difficile de faire véritablement le deuil d'un enfant dont la mort avait été occultée.

§"A naître, né et déjà perdu", Pour le deuil des grossesses perdues et des morts périnatales, Conférence Femmes de la FEPS, le 20 janvier 2001 de 9 h30 à 17 h. Forum Neumünste 8125 Zollikerberg