Doctorat Honoris Causa décerné à une pasteure vaudoise pour son action réconciliatrice au Rwanda

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Doctorat Honoris Causa décerné à une pasteure vaudoise pour son action réconciliatrice au Rwanda

27 novembre 2000
Annelise Maire s'est vu décerner le doctorat Honoris Causa de l'Université de Bruxelles
La distinction honore son travail d'enseignante au Rwanda pendant quatre ans à la Faculté de théologie protestante de Butare. Elle a apporté aux étudiants une théologie en lien avec les situations concrètes de l'existence et avec le génocide enduré en 1994 par ce petit pays d'Afrique centrale. Rencontre avec la lauréate, à son retour en Suisse.

Photos à disposition à ProtestInfo, tel 021/312 89 54L'Université de Bruxelles a salué l'aptitude d'Annelise Maire à s'adresser à la personne humaine dans sa globalité, et son souci de relier la recherche théologique à la vie concrète. Représentant une théologie échappant aux tours d'ivoire universitaires, elle est partie en 1996 au Rwanda pour le compte du DM-Echange et Mission, 15 mois après le génocide à la machette qui a fait des centaines de milliers de morts et dans lequel s'est impliquée une majorité de la population rwandaise à l'instigation de quelques pousse-au-crime. Pasteure, elle a enseigné la théologie pratique dans le cadre d'un Programme spécial destiné à redonner aux Eglises réformées rwandaises les ministres dont elle a besoin. La première volée de 45 étudiants comptait des Rwandais de toute origine: "Le défi était d'apprendre à vivre ensemble, à partager nos souffrance de victimes et de bourreaux". Un étudiant fut d'ailleurs arrêté et mis en prison pour sa participation présumée aux massacres. Ses camarades, loin de le laisser tomber, se sont alors cotisés pour l'aider à subvenir à ses besoins durant sa captivité: "Il n'y avait plus d'opposition entre Tutsis et Hutus. Nous étions rwandais, et tous avaient le feu sacré pour reconstruire le pays".

§Passer d'un croire à un agirTout l'art d'Annelise Maire a été d'intégrer la réalité traumatisante du génocide à son enseignement théologique, de façon à ce que la théorie ait des implications individuelles, en résonance avec le vécu propre à chacun: "Il faut sentir le texte biblique physiquement et affectivement autant que spirituellement". Ainsi, en introduction au récit du miracle de la femme courbée relaté dans l'Evangile de Luc, elle demande aux étudiants de se courber pendant plusieurs minutes et d'essayer de vaquer à leurs occupations dans cette position inhabituelle, ouvrir une fenêtre, déplacer une chaise, serrer la main à quelqu'un. Au bout de l'exercice, tout le monde a compris que ce handicap empêchait une existence normale. "Mais surtout, ils ont fait le rapprochement avec le poids du génocide qui les oblige eux-aussi à vivre courbés, sans véritable liberté d'action, entravés dans leurs relations sociales. Ils ont aussi établi un parallèle avec la condition de la femme rwandaise qui vit courbée sous les traditions. Vécu de la sorte, le texte biblique met en contact avec les souvenirs, les émotions, le relationnel, et s'avère formateur pour l'ensemble de la personnalité. Il offre des moyens de vivre droit, debout. On passe d'un "croire à un agir", d'un "penser à un sentir".

§Pédagogie judicieuseCes connaissances théologiques ancrées au plan personnel sont indispensables aux pasteurs au moment d'embrasser leur ministère parmi une population encore traumatisée: "Ils peuvent être remis en cause du fait de leurs origine hutu ou tutsi, ou accusés de parti-pris". Défi supplémentaire: la présence importante de communautés évangélisatrices qui s'emploient à convaincre la population qu'il faut tout quitter pour "construire au ciel le Royaume de Dieu": "Les pasteurs que nous avons formés doivent dire non à cette évangélisation aberrante, et rappeler que le Royaume est à construire sur cette terre, ici et maintenant. Raison pour laquelle j'ai travaillé avec eux la notion de "terre" par des exercices physiques, pour qu'ils sentent que la terre nous porte, et que nous sommes tous unis par cette réalité".

Surprise du Doctorat Honoris Causa que lui a décerné l'Université de Bruxelles, Annelise Maire en attribue une partie du mérite à la Faculté de théologie de Butare: "A travers moi, ce sont surtout les choix pédagogiques de la Faculté qui sont reconnus, et c'est cela qui me fait le plus plaisir".