Adrian Stiefel: «La méfiance des débuts s’est levée au fil du temps»

Adrian Stiefel, chargé de ministère de l’Antenne LGBTI de l'EPG / © Alain Grosclaude
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Adrian Stiefel, chargé de ministère de l’Antenne LGBTI de l'EPG
© Alain Grosclaude

Adrian Stiefel: «La méfiance des débuts s’est levée au fil du temps»

Interview
L’Antenne LGBTI du LAB* de l’Église protestante de Genève collabore avec de nombreuses associations et institutions locales. Son chargé de ministère accompagne également d’autres Églises vers l’inclusivité.

Quel bilan tirez-vous après cinq ans d’existence de l’Antenne?

Notre structure a tout de suite trouvé un public, ce qui prouve sa nécessité. Le nombre de bénéficiaires s’est stabilisé à une trentaine lors des rencontres thématiques mensuelles. Certains événements ponctuels réunissent jusqu’à 150 personnes.

Les participant·e·s se sont diversifié·e·s: de nombreux protestant·e·s, mais également beaucoup de personnes qui fréquentaient les milieux évangéliques, des catholiques, ainsi que des athées et des agnostiques en recherche spirituelle.

Avec la crise sanitaire, une communauté d’une soixantaine de personnes s’est aussi formée en ligne. Cela nous a permis de toucher des hommes et des femmes sur une zone géographique beaucoup plus vaste: d’autres cantons suisses, de France, des États-Unis, d’Espagne ou encore d’Albanie, entre autres.

 

Comment l’Antenne a-t-elle évolué?

Nous avons adapté notre structure et notre offre aux besoins et aux demandes. L’Antenne est une plateforme de dialogue et d’échange avec un riche partage communautaire et des informations liées à la spiritualité, aux questions LGBTIQ+ et à la sexualité. Nous proposons également une permanence d’entraide et un accompagnement individuel. Les demandes ont augmenté depuis le début de la crise sanitaire. Il peut s’agir de jeunes en rupture familiale en raison de leur orientation sexuelle qui n’est pas acceptée par leur religion. Nous effectuons alors un travail d’accompagnement dans un but de réconciliation et nous collaborons aussi avec le secteur socio-éducatif.

 

L’accueil des personnes LGBTIQ+ a-t-il changé au sein de l’Église protestante de Genève?

Un grand chemin a été parcouru à la suite de la création de ce ministère spécialisé puis de l’acceptation de la bénédiction des couples de même sexe fin 2019. Ce ministère a trouvé sa place au sein de notre Église; je ressens un ancrage plus profond et plus pérenne. Même s’il subsiste certaines peurs…

 

Quelles sont, aujourd’hui, les problématiques LGBTIQ+ dans l’Église?

Je n’ai pas entendu parler de réelles violences homophobes ces dernières années. Il s’agit plutôt d’invisibilité. Pendant longtemps, les personnes homosexuelles étaient soit absentes des paroisses soit elles n’osaient pas affirmer leur orientation sexuelle. C’est en train de changer. Le fait que l’Église se soit prononcée pour un accueil inconditionnel est le premier pas pour une véritable intégration. Il s’agit de passer d’une minorité discriminée, ce qui était le cas lorsque la bénédiction des couples de même sexe n’était pas possible, à un groupe de personnes faisant désormais partie de la majorité. À un certain moment, il faudra également que les personnes LGBTIQ+ soient représentées dans toutes les sphères de l’Église, notamment dans les Conseils de paroisse, pour qu’elles aient une vraie représentativité.

 

Quel est le prochain pas attendu de votre Église?

Le Consistoire a demandé à la Compagnie des pasteurs et des diacres de veiller à la création et au renouvellement d’outils liturgiques et pastoraux adaptés pour l’accompagnement des nouvelles formes de conjugalité et de configurations familiales. Il s’agit de poursuivre cette réflexion. Il est important que les ministères, aumôneries et les lieux de culte soient en mesure d’intégrer des mesures inclusives. Je pense, par exemple, à ce que l’accueil de toute personne, indépendamment de son orientation sexuelle, soit inscrit dans une charte. Les croyants LGBTIQ+ doivent se sentir suffisamment à l’aise pour, s’ils le désirent, se nourrir spirituellement et se confier aussi dans des lieux de culte plus traditionnels.

 

Que faut-il pour que cela devienne une réalité?

Accompagner les pasteur·e·s et les diacres pour qu’ils·elles soient outillé·e·s, grâce notamment à des formations sur ces questions. Connaître sa théologie ne suffit pas pour savoir comment engager le dialogue naturellement, sans créer de tabous ou commettre un impair.

Je souhaite, également, développer plus de synergies et de partenariats avec d’autres structures de l’Église protestante de Genève. Nous avons d’ailleurs récemment collaboré avec l’Espace Fusterie lors de la cérémonie interreligieuse annuelle organisée pour la journée mondiale de lutte contre le sida.

 

L’Antenne est-elle devenue un partenaire légitime d’autres associations et institutions genevoises?

De vrais liens de confiance et d’amitié se sont tissés! Nous sommes devenus des partenaires privilégiés de la Ville de Genève. La méfiance des débuts s’est levée au fil des années, lorsqu’il a été clair que nous n’étions pas dans une volonté de prosélytisme et que notre démarche vers la cité était ancrée dans la laïcité de l’État. Cela a, par exemple, rendu possible notre travail dans les écoles pour la prise en compte de la religion dans le processus de déconstruction et de résolution de conflits et de discriminations LGBTphobes.

 

Vous accompagnez également d’autres Églises en matière d’inclusivité.

Oui, grâce à notre expertise en matière d’intégration des questions LGBTIQ+ en secteur ecclésial. C’est, par exemple, le cas avec l’Église catholique romaine à Genève. Nous avons récemment organisé une rencontre avec la pastorale des familles de l’Église catholique romaine. J’ai à cœur de favoriser le dialogue œcuménique et interreligieux sur les questions LGBTIQ+.

 

Souhaitez-vous encore développer ces collaborations ?

Nous avons déjà augmenté et diversifié le nombre d’événements que nous organisons en proposant des tables rondes et des conférences. Nous avons également participé à la Geneva Pride et nous sommes intervenus à plusieurs reprises lors de débats autour de films qui traitent de spiritualité ou de religion grâce à nos liens désormais étroits avec le secteur associatif LGBTIQ+ et culturel. Je souhaite poursuivre ces collaborations transversales.

 

Ce travail avec les secteurs associatif, socio-éducatif, institutionnel et d’autres traditions religieuses, est-ce bien le rôle de l’Église protestante de Genève?

Je suis convaincu de l’importance de créer des ponts entre l’Église, la société, les associations et les institutions. Je pense qu’il s’agit de la clé pour que notre Église se renouvelle. Son rôle doit évoluer avec la société et répondre aux besoins, tant que notre mission d’être témoins de l’Évangile de Jésus-Christ, d’apporter son message, de se mettre au service des plus démunis et d’œuvrer pour plus d’égalité reste au centre de nos intentions. De plus, je pense que l’expertise et le regard que nous apportons en tant que chrétiens sur des sujets sociétaux est très précieux. La société reconnaît l’importance de notre apport, c’est une marque de confiance.

 

L’Église doit évoluer avec la société et répondre aux besoins, tout en apportant le message de Jésus-Christ.
Adrian Stiefel

Quels projets souhaiteriez-vous voir se concrétiser?

L’un de mes souhaits est l’émergence d’une plateforme de discussion théologique composée de théologien·ne·s de toute la francophonie. Constituée de personnes concernées par les questions LGBTIQ+ à un niveau personnel ou ministériel, elle agirait comme pôle de référence théologique et de réflexion continue pour les questions LGBTIQ+ dans la francophonie.

 

Vous incarnez l’Antenne depuis ses débuts. Est-ce une volonté?
Un ministère pionnier, par principe, doit être incarné par un porteur de projet, qui est aussi son image auprès du public. Lorsqu’il devient ancré, ce qui est le cas désormais, il lui faut plus d’horizontalité pour ne pas tomber dans le piège d’une trop forte personnification. J’aspire à valoriser les ressources incroyables de l’équipe bénévole dans un souci de pérenniser la structure. Il est important que les charismes de chacun soient reconnus et puissent se déployer.

 

Vous êtes très impliqué. Considérez-vous votre ministère comme un sacerdoce?

Non! Il est ancré dans mon chemin et mon engagement de vie, aussi dans la souffrance que j’ai dû gérer et qui m’a permis de grandir. Lorsque quelqu’un demande mon aide, je ne vais pas refuser parce que cela ne fait pas partie de mon cahier des charges ou que je n’ai pas le temps. Récemment, un prêtre catholique gay de Kinshasa a fait appel à nous. Comment lui dire non ?

2019 a été une année difficile. J’ai été malade et j’ai dû être hospitalisé durant de nombreuses semaines. Durant cette phase de fragilité personnelle, j’ai vu à quel point ce que je fais donne un sens. J’ai aussi pris conscience que j’ai beaucoup reçu en retour. Mon ministère m’a porté.

 

L’Antenne LGBTI et le LAB sont en question sur leurs liens depuis plusieurs mois. L'Antenne va-t-elle prendre son indépendance?

L’Église protestante de Genève accompagne actuellement un processus de réflexion dans lequel sont engagés l’Antenne LGBTI et le LAB. Le LAB a été l’incubateur dans lequel l’Antenne est née et a pu déployer son ministère. Ma conviction est qu’il faut pouvoir répondre aux nombreuses demandes qui dépassent le cadre du public jeunesse initial. Pour cela, pourquoi ne pas devenir une plateforme de ressources, de connaissances et d’entraide sur les questions LGBTIQ+ au service de l’entièreté de notre Église?

Bio express

Janvier 2016: il organise la première rencontre de l’Antenne LGBTI.

Juin 2017: il est nommé chargé de ministère par l’Église protestante de Genève pour les questions LGBTIQ+.

Début 2020: la Ville de Genève accorde une subvention annuelle pérenne qui paie une partie de son salaire et des activités proposées par l’Antenne.

Juin 2020: il intègre la Compagnie des pasteurs et des diacres de l’Église protestante de Genève.

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