Gottfried Locher: 1 président, 7 femmes et 2 démissions

Suite à une accusation en matière d'harcèlement sexuel, Gottfried Locher a démissionné le 27 mai 2020. / KEYSTONE/Anthony Anex
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Suite à une accusation en matière d'harcèlement sexuel, Gottfried Locher a démissionné le 27 mai 2020.
KEYSTONE/Anthony Anex

Gottfried Locher: 1 président, 7 femmes et 2 démissions

La démission de Gottfried Locher était inévitable. Alors que l’existence d’une plainte à son endroit a été découverte, les langues se délient et concrétisent ce qui n’était hier que vagues rumeurs. Au total, ce sont aujourd’hui sept femmes qui ont accepté de raconter leurs témoignages personnels à des dirigeants d’Églises cantonales.

Un président, sept femmes et deux démissions. Voici pour l’heure le décompte chiffré de la crise qui secoue actuellement l’Église évangélique réformée de Suisse (EERS), mais qui ne saurait bien évidemment pas se résumer à ce froid calcul. Acculé depuis que l’existence d’une dénonciation à son endroit pour avoir dépassé les limites dans le cadre d’une relation professionnelle a été rendue publique, le président Gottfried Locher a dû se résigner à quitter ses fonctions. Sa démission a été annoncée mercredi soir, le 27 mai, soit un peu plus d’un mois après le départ fracassant de Sabine Brändlin, l’une des sept membres du Conseil de l’EERS, le 24 avril.

La brutalité de cette démission ainsi que des contradictions dans la communication avaient alors suscité de vives interrogations au sein des directions des Églises cantonales. Plusieurs prises de position ont alors surgi, réclamant expressément au Conseil des clarifications sur les dessous de cette crise à la tête de l’institution, de forts soupçons circulant déjà quant à l’existence d’une plainte dans le domaine du harcèlement sexuel (lire nos autres articles sur le sujet).

Face au silence persistant de l’Exécutif, certaines voix sont alors montées au créneau. Dans son édition du 19 mai, le TagesAnzeiger confirmait non seulement l’existence de pareille dénonciation, mais également le fait que la personne visée par celle-ci n’était autre que le président de l’Église évangélique réformée de Suisse, Gottfried Locher.

Forcés à se taire

Certains n’ont pas été vraiment surpris par cette révélation. «Déjà en 2018 (année de sa réélection, ndrl.), des rumeurs circulaient quant au fait que Gottfried Locher pouvait avoir un comportement inapproprié avec des femmes», confie Christoph Weber-Berg, président du Conseil synodal de l’Église argovienne. Mais aucun élément solide n’était venu attester ces dernières. Cela peut notamment expliquer pourquoi «ces rumeurs étaient aussi difficiles à croire pour certains», avance Michel Müller, président de l’Église zurichoise, qui s’était toujours opposé à la réélection de Gottfried Locher.

Un seul témoignage, encouragé par la vague #MeToo à l’automne 2017, avait cependant pointé le bout de son nez, même si la pasteure concernée avait préféré ne pas nommer clairement le «représentant de l’Église» qui lui avait tenu des propos plus que déplacés (lire notre précédant article sur le sujet). Si Gottfried Locher avait confirmé à la presse avoir eu cette conversation, le président des réformés n’en était pas moins actif dans la défense de sa protection à la vie privée. Christoph Weber-Berg, également président de Reformiert Medien qui chapeaute le site ref.ch qui avait relayé ce témoignage, en a personnellement fait les frais. «J’ai immédiatement reçu des appels téléphoniques de deux membres du Conseil et de l’avocat de M. Locher, me menaçant de poursuites juridiques», raconte-t-il aujourd’hui.

D’autres lettres de ce type ont également été adressées ces derniers temps, même au sein du Conseil de l’EERS, nous confie une source proche du dossier. Des pressions qui ont donc dû encore complexifier la gestion de la crise par les autres membres de l’Exécutif.

D’autres dénonciations

S’il reste prudent sur les mots employés, Christoph Weber- Berg nous informe que suite à l’annonce de la plainte actuellement en examen à l’EERS, d’autres plaignantes se sont spontanément approchées de lui, ainsi que de trois autres dirigeants d’Églises cantonales, à savoir Miriam Neubert, conseillère synodale des Grisons, Andreas Zeller président du Conseil synodal Berne-Jura-Soleure et Catherine Berger, conseillère synodale de l’Église d’Argovie. «Nous sommes quatre et nous avons reçu les témoignages  de sept femmes qui accusent M. Locher», indique le président de l’Église argovienne.

Ces accusations sont toutes en lien avec le du domaine du harcèlement, bien qu’à des niveaux différents: «Celles-ci concernent tout le spectre du dépassement des limites, et vont des propos déplacés au harcèlement sexuel.» Malgré des témoignages précis et documentés, toutes ces femmes refusent cependant de sortir de  l’anonymat. «Cela leur est d’abord difficile, ce qui est compréhensible, et cela leur apparaît également dangereux: toutes craignent d’être mises sous pression», formule Christoph Weber-Berg.

Incohérences persistantes

En toute logique, au vu de la situation actuelle, la démission de Gottfried Locher a été reçue par beaucoup comme un soulagement au sein des Églises, «même si celle-ci arrive trop tard», juge Michel Müller. Du côté du Conseil de l’EERS également, ce départ était désormais ressenti comme inéluctable. «Je respecte le pas que Gottfried Locher a fait. Il a pris cette décision dans une situation qui lui était devenu difficile et dans laquelle un changement s’imposait», exprime Esther Gaillard, vice-présidente du Conseil. Ce dernier aurait-il été poussé vers la sortie? «Il s’agit d’une démission de M. Locher», répond encore la responsable, tout en admettant qu’ «il y a eu une concertation entre lui et le Conseil de l’EERS».

Si l’identité de la plaignante ainsi que le détail des faits qui sont reprochés aujourd’hui au président de l’EERS n’ont pour l’heure pas encore fuité, différentes sources confirment que ceux-ci dépassent bien le seul dérapage verbal. La Grisonne Miriam Neubert en veut pour preuve l’acte de contestation de Sabine brändlin, le 24 avril: «Sabine Brändlin qui adorait son poste et s’y engageait pleinement, n’aurait jamais démissionné si l’affaire n’était pas sérieuse», assure-t-elle. Dans tous les cas, et comme pour ces nouvelles accusations, Gottfried Locher bénéficie du principe de la présomption d’innocence.

Reste cependant une interrogation. Dans le communiqué annonçant sa démission, la ministre évoquait des «divergences insurmontables» quant à un dossier en cours. Mais quels étaient précisément ces points de désaccords entre Sabine Brändlin et les autres membres du Conseil par rapport à ce dernier? «Il n’y a pas eu de divergences d’opinions, comme cela a été faussement propagé», conteste Esther Gaillard. «Sabine Brändlin a dû se récuser en raison de sa partialité avec ce dossier.» Une discordance qu’il restera encore à examiner de près.

Un courrier révoltant

Dans une lettre adressée au Synode pour annoncer sa démission, Gottfried Locher s’autorise un dernier coup d’éclat, regrettent de nombreuses voix. «Il se présente comme une victime, et en même temps comme le héros qui part pour sauver l’Église», se scandalise Michel Müller. «Cette situation est de sa seule responsabilité», poursuit le Zurichois. «Il est président, il est père, il est officier de l’armée, il devrait savoir ce que ce terme signifie. Or, on dirait qu’il n’en a pas vraiment la notion.»

Dans ce courrier, Gottfried Locher formule également que tout le Conseil devrait démissionner avec lui. Une déclaration qui a pris les membres du Conseil par surprise et dont ils s’étonnent au vu de la convention qui a été signée entre l’EERS et M. Locher, selon une source proche du dossier.  «Même si la question peut se poser, ce n’est certainement pas à lui de l’exprimer», lâche Michel Müller. «Il veut ainsi mettre en avant le fait qu’il n’est pas le seul problème dans cette histoire, cela apparaît comme une sorte de revanche.»

Une image abîmée

«La démission de Gottfried Locher est une bonne chose, mais le travail n’est pas fini», insiste Christoph Weber- Berg. «Le Conseil doit à présent faire preuve de transparence, on doit savoir ce qui s’est passé. Car aujourd’hui notre Église a perdu sa crédibilité.»

Le Conseil aurait-il dû, aurait-il pu agir autrement dans ces circonstances si exceptionnelles? La question reste à être examinée. Pour l’Argovien, «l’institution a dysfonctionné pendant cette crise» et il faudra clarifier également ce point quant à «l’absence de management de crise, de communication de crise et communication tout court envers les Églises membres».

Si la confiance est à reconstruire, il faudra aussi envisager l’avenir avec un Conseil actuellement réduit à cinq. Pour Michel Müller, «il conviendra de rapidement trouver des solutions intermédiaires», et non de se précipiter pour élire une nouvelle personne à la tête de l’Église. «Avec le nouveau rôle accordé à son président par la nouvelle EERS, il sera important de bien étudier les profils des candidats en amont.»