Marcelle Bard, pionnière à Genève

En 1943, Marcelle Bard est devenue la première femme membre de la Compagnie des pasteurs, institution qui regroupe les ministres genevois depuis l’époque de Calvin. / DR
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En 1943, Marcelle Bard est devenue la première femme membre de la Compagnie des pasteurs, institution qui regroupe les ministres genevois depuis l’époque de Calvin.
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Marcelle Bard, pionnière à Genève

FÉMINISATION
Il y a de cela nonante ans, Marcelle Bard brisait un plafond de vitrail en devenant la première femme pasteure dans le canton de Genève.

Si aujourd’hui les femmes représentent près de la moitié de l’effectif des ministres de l’Église protestante de Genève (EPG), l’allée menant à l’autel a été longue à se dégager pour leurs prédécesseurs. Celles qui y sont parvenues se comptaient, en effet, sur les doigts des deux mains jusque dans les années 1970.

Fille d’un pasteur et professeur de théologie à l’université de Genève, Marcelle Bard (1903-1988) avait partagé dès son plus jeune âge son désir de devenir pasteure. Ses parents l’y encouragèrent, même si son père Louis-Elisée testa sa détermination en l’emmenant dans ses visites pour la confronter à des situations difficiles. Il décéda avant le début de ses études en théologie.

La fin de son cursus arrivant à grands pas et son aspiration n’ayant pas faibli, l’Église nationale protestante de Genève n’eut pas d’autre choix que de se prononcer sur la question de l’ordination des femmes en 1928. Les mouvements laïques soutinrent la campagne menée par un «comité de propagande». Ce fut également le cas de la militante du droit des femmes Émilie Gourd, fille de pasteur elle aussi, dans le journal Le Mouvement féministe.

Malgré quelques lettres de pasteurs parues dans la presse pour s’y opposer, une large majorité de votants accepta d’octroyer aux femmes le droit de devenir pasteurs auxiliaires. Deux tiers de oui sont obtenus tant lors du vote des élus du Consistoire (le 9 juin 1928), que lors du vote des fidèles (le 2 décembre 1928). Marcelle Bard sera consacrée une année plus tard, le 19 décembre 1929, au temple de Carouge.

«Le fait qu’il s’agisse d’un statut de pasteur auxiliaire a sans doute facilité les choses. Les femmes ne pouvaient pas prendre le leadership d’une communauté, ce qui ne bouleversait pas trop les représentations», explique Lauriane Savoy, assistante-doctorante en théologie pratique à l’université de Genève (voir encadré). Mais désormais, elles pouvaient monter en chaire et prêcher, acte symboliquement très important pour les protestants. L’obligation du célibat un temps envisagé — et notamment imposé par l’Église réformée de France jusqu’en 1965 — est refusée trop contraire aux principes mêmes de la Réforme.

Marcelle Bard devient donc aumônier adjointe à l’hôpital cantonal, poste qu’elle occupa quarante ans! Dès 1933, la Genevoise est en parallèle pasteure à la paroisse de la Servette, auprès des défavorisés du quartier ouvrier de Cité-Vieusseux. Pionnière infatigable et courageuse du pastorat féminin, elle doit attendre quatorze années supplémentaires (!) pour être admise, en 1943, au sein de la Compagnie des pasteurs, institution regroupant les ministres genevois. Il faudra encore patienter jusqu’en 2001 pour qu’une première (et à ce jour unique) femme, Isabelle Graesslé, en occupe la plus haute fonction, celle de modérateur.

Côté lecture

Lauriane Savoy a codirigé Une bible des femmes, publié en septembre dernier aux Éditions Labor et Fides. Vingt et une théologiennes — parmi lesquelles quatre Genevoises — y relisent des textes controversés de la Bible. Ces théologiennes protestantes et catholiques présentent ce que deviendrait une entreprise de réécriture de la Bible au XXIe siècle par des femmes francophones. Ce livre est un écho aux deux volumes de The Woman’s Bible publiés en 1895 et en 1898 aux États-Unis sous l’impulsion de la féministe américaine Elizabeth Cady Stanton. Un comité de femmes y interprétait des passages misogynes de la Bible.