Quelle place pour les plus vulnérables en temps de crise ?

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Image par Sabine van Erp de Pixabay

Quelle place pour les plus vulnérables en temps de crise ?

14 novembre 2020

Coécrit avec Christine Pedroli, aumônière en gériatrie et infirmière à la retraite

 

A l’aube de la (ou des)  vague(s)  qui se profile(nt) en terme de Covid19, comment penser le bien du plus grand nombre sans oublier les détresses individuelles ? Car oui, le bien de tous est une chose à défendre. Néanmoins l’urgence et l’ampleur de la crise sanitaire mondiale du nouveau coronavirus et les recommandations (justifiées) qu’elle entraine laissent certaines détresses et besoins vitaux individuels de côté. En tant qu’aumôniers et infirmière retraitée notre pratique nous pousse dans une dynamique plutôt interpersonnelle : cela peut être un biais dans notre grille de lecture de la situation. Mais il peut permettre, alors que toute une société est focalisée à juste titre sur la masse pour éviter les engorgements du système de santé, d’être attentifs aux individus dont les besoins nous révèlent dans le quotidien de notre pratique comment de saines recommandations prises pour les plus vulnérables plongent parfois les plus vulnérables eux-mêmes dans une détresse profonde si l’on y prend garde. Ces quelques lignes se veulent être l’écho d’une question qui semble être une banalité, mais une banalité que l’on n’exprime pas à haute voix et qui nous est posée de la bouche même des résidents que nous visitons chaque jour, à l’image de Jacqueline (prénom d’emprunt), résidente octogénaire: «  Pourquoi voudrais-je prolonger ma vie en évitant les risques dans un milieu aseptisé alors que je ne peux pas serrer ceux que j’aime dans mes bras, et que je ne peux même pas voir leur visage et leur sourire » ?

C’est consternés qu’au moment de retrouver les résidents des EMS et du secteur psychiatrique après trois  mois de confinement, nous constatâmes combien leur intérêt pour la vie et pour le monde avait rétréci, comme disparu à cause du temps d’isolement.  Tour à tour emballée dans une tenue de protection qui évoquait plus une chirurgienne en salle d’opération qu’une personne venant rencontrer et vivre un temps spirituel avec les résidents, ou immobilisé à deux mètres de distance derrière un écran de plexiglas privant toute chaleur humaine à des personnes en ayant cruellement besoin, nous avons été frappés par les détresses existentielles de nos aînés. A l’image  du désarroi  de cette dame de 85 ans qui a perdu son mari, au côté duquel elle avait l’habitude de  s’endormir, durant  leurs 60 années de vie commune en se tenant par la main. Le vide soudain  l’a plongée dans une solitude  si lourde et difficile à gérer  et  qui, de plus, n’a pas  pu être comblé par la présence de ses proches auprès d’elle. Elle raconte : « Savez-vous  à quel point  il est difficile de se retrouver seule d’un coup, et de ne pouvoir trouver de réconfort auprès de ceux que vous aimez car ils ne peuvent  vous approcher à moins d’un mètre ? ». Des épisodes similaires, nous en entendons régulièrement dans nos unités. Christophe Büla, chef du secteur de gériatrie au CHUV, dans l’émission FORUM du 21 octobre 2020, rappelle que des résidents d’EMS qui n’ont pourtant pas été touché directement par le COVID sont décédés car ils se sont laissés glisser de la vie à cause des coupures sociales engendrées par le confinement.[1]      

Le travail du soignant s’inscrit dans une perspective du lien  au corps de la personne soignée. Et en ce qui concerne le travail en hôpital,  l’observation, mais aussi le toucher à travers le soin est essentiel. On pourrait comparer cela à « un contrat de  confiance » que le patient établit avec l’infirmier(e). Le toucher comporte une certaine technicité, c’est bien ainsi. Mais la manière dont il est prodigué va dire quelque chose de la façon dont le soignant l’envisage, le vit et l’exécute.  Reste en exemple le souvenir comme élève infirmière d’avoir accompagné un patient devant subir une opération importante, mais qui ne pouvait se dérouler que sous anesthésie locale.  L’intervention n’avait été que de rester près de lui en salle d’opération, en contact par les mains posées sur sa tête afin, disait-il de pouvoir rester du « coté de la vie » et d’être rassuré par cette chaleur et ce contact humain.  Le constat en tant qu’infirmière et aumôniers fut fait à de multiples reprises : chez des enfants très agités, ou des personnes angoissées de tous âges, un contact physique, une main qui apaise, qui dit « je suis là, avec vous, vous n’êtes pas seul » peut être important, voir vital. Une soignante d’un EMS confiait il y a deux semaines encore dans le cadre de visites qu’elle massait certaines patientes démentes pour calmer leur agitation. Il y a parfois dans le geste du toucher quelque chose qui n’est pas réfléchi, mais qui est instinctif,  et qui est de l’ordre du primordial. A ce titre nous devons donc nous interroger sur la manière dont nous nous coupons  de nos relations socialement, avec la distance imposée.

A la question du bien du groupe ne s’opposent pas, mais s’articulent les besoins et les détresses des individus. Si l’on considère que nous vivons dans une société où l’on souhaite être attentifs aux plus vulnérables, alors l’attention que nous portons à nos aînés (et à tous les autres) ne peut pas s’arrêter qu’aux strictes mesures sanitaires. L’utilitarisme est défendable en ce qu’il ne se transforme pas en autoritarisme utilitaire laissant sur le carreau ceux qu’il prétend servir. Evidemment et nous en avons conscience, cela demande un surcroit d’attention et de présence pour nos résidents âgés et potentiellement une surcharge de travail pour les équipes soignantes elles-mêmes parfois touchées par le virus. Le déficit d’attention aux détresses individuelles et les limites d’actions révélées par la crise sanitaire ne sont qu’un constat de plus que des ajustements doivent être fait dans nos choix de société d’une part. Même si cela en devient un poncif, il faut continuer à le dire. D’autre part, cela nous questionne sur la place qu’ont pris nos aînés et les « marginaux » dans notre société et sur la manière que nous avons de nous en occuper et de les considérer en tant que collectivité.

Notre conclusion est donc évidente : il faut (re)penser la prise en charge des patients à l’aune de leurs besoins en termes de liens, dans le cadre des précautions prises pour le bien commun. Cela ne va pas de soi tant les mesures (justifiées encore une fois) sont restrictives et ne semblent laisser que peu de marge. Néanmoins, en faisant preuve de créativité il est possible d’offrir des petites touches de chaleur à ceux qui ont froid, à l’image de ce monsieur de 80 ans, qui avant de prendre la main de sa visite  la lui a soigneusement désinfectée pour la serrer, avant de se passer de la solution hydro-alcoolique sur les mains. Une poignée de main et un contact « salutaire » selon ses mots tant la solitude l’étreignait. Aujourd’hui nous constatons que des unités tant psychiatriques que gériatriques choisissent de limiter la fermeture de leurs portes aux visites et aux prestataires externes et il nous semble important d’aller dans ce sens. Cela s’inscrit également dans une réflexion de société plus globale ou il devient nécessaire encore une fois de faire des choix pour la vie là où elle se joue vraiment.

 

[1] https://www.rts.ch/play/radio/forum/audio/contre-le-covid-19-faut-il-des-mesures-differenciees-par-age-?id=11676474

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