Une nature plus revêche que prévu

Singapour Gardens by the bay entre artificialité et idéalisation de la nature / Singapour entre artificialité et idéalisation de la nature. Photo Gilles Bourquin
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Singapour Gardens by the bay entre artificialité et idéalisation de la nature
Singapour entre artificialité et idéalisation de la nature. Photo Gilles Bourquin

Une nature plus revêche que prévu

13 mai 2020

Le discours dominant de l’écologie contemporaine affirme que l’harmonie naturelle de l’écosystème Terre a été progressivement perturbée par le développement des civilisations humaines. L’agriculture, l’élevage, l’usage du feu, l’invention de la roue, jusqu’aux innombrables progrès techniques des sociétés modernes, sont responsables d’un envahissement des biotopes sans précédent, entrainant une crise toujours plus irréversible de la biodiversité et des climats. Selon cette compréhension de l’histoire, la nature est perçue comme le bien originel, et l’homme la cause du mal, car il ne respecte pas ce bien.

Or, nous le savons, nos manières de nous raconter notre histoire sont fortement liées à nos systèmes de croyances. Elles sont sélectives en ce qu’elles prennent en compte un nombre limité d’aspects de la réalité en reconstruisant des enchaînements causaux choisis dans la complexité de l’histoire. Ce sont les orientations philosophiques et les systèmes de valeur des chercheurs qui président à la construction des grands récits historiques.

A ce titre, il est intéressant de se remémorer qu’une façon inversée de raconter les origines de l’humanité a prévalu avant l’ère écologique. Selon cet autre discours, la nature sauvage n’est pas une harmonie mais un cortège de forces chaotiques et conflictuelles qui rendent toute vie pénible dans l’écosystème Terre. Les perturbations climatiques font violence aux êtres vivants, qui luttent les uns contre les autres pour leur survie. Selon cette approche, les hommes primitifs étaient soumis à une vie très rude dans leur milieu naturel.

Dès lors, tous les progrès des civilisations, à commencer par l’agriculture, l’élevage, mais aussi l’usage du feu, la construction d’abris contre les prédateurs, puis d’habitations et de réseaux de communications, ne visent qu’à juguler et normaliser le monde désordonné de la nature, afin de créer de meilleures conditions de vie, moins dangereuses et plus confortables pour l’homme. Selon cette autre philosophie de l’histoire, la nature est la source du mal-être originel, et l’homme cherche à augmenter son bien-être en transformant son milieu de vie afin de le rendre davantage conforme à ses attentes.

Deux grands récits antagonistes

Laquelle de ces deux histoires des rapports entre la nature et les civilisations humaines correspond le mieux à la réalité ? Il apparaît clairement qu’elles sous-tendent des compréhensions opposées de la nature, source d’harmonie pour le discours écologique, source d’instabilité pour le discours moderne du progrès. Dans les deux cas, la philosophie de l’histoire est étroitement dépendante de la philosophie de la nature.

Prenons l’exemple de la forêt, autour de laquelle se cristallisent bien des idéaux écologiques. Alors qu’elle est perçue à l’époque prémoderne comme un milieu hanté, le discours darwinien rationalise son fonctionnement par le principe de lutte pour la vie. Les arbres sont en compétition par leurs besoins nutritifs et énergétiques, de sorte que leurs troncs s’allongent en quête de lumière. Certaines espèces de conifères acidifient le sol afin de le rendre impropre à d’autres espèces végétales. Or, il est frappant d’observer à quel point certains ouvrages actuels traitant de la forêt tendent à renverser cette approche en privilégiant la faculté des arbres à « s’entraider » au sein d’associations végétales sensibles et solidaires, dont la civilisation humaine aurait à s’inspirer. Ici, un projet prométhéen de civilisation humaine repose sur une vision embellie de la nature.

Il est intéressant de constater comment la pandémie du Covid-19, qui à première vue devrait faire pencher la balance du côté du second discours, en soulignant la pertinence du progrès médical et sanitaire face à un aspect morbide de la nature, a été rapidement récupérée par le discours écologique, qui accuse les civilisations actuelles d’être à l’origine d’un accroissement de la fréquence des zoonoses, alors que l’histoire rend compte d’épidémies au combien plus meurtrières dans les siècles passés.

Une théologie désidéalisée du couple homme-nature

Et de quel côté penchent les récits bibliques des origines ? Il est difficile de le dire. Dans le livre de la Genèse, on trouve apparemment un mélange des deux histoires : Dieu crée la nature bonne (premier récit de la Création) et le péché n’arrive qu’avec l’homme, qui est chassé du paradis. Du coup, la situation de l’homme dans la nature est problématique dès les origines : il doit travailler dur pour labourer la terre et la femme enfante dans les douleurs (second récit de la Création). La nature n’est donc pas, fondamentalement, un lieu d’harmonie, mais la condition d’une existence difficile.

L’homme n’en est pas moins désigné responsable de la gestion de l’écosystème Terre qui semble devoir se ranger sous ses auspices (Genèse 1,26-29). La tâche qui lui est assignée n’est d’emblée pas simple. Il semble qu’il soit à la fois au moins partiellement responsable des vicissitudes qui s’y trament et chargé d’en diminuer les effets. Il est donc pertinent d’affirmer que les deux récits s’interpénètrent de façon complexe. Si l’homme est établi gestionnaire de la nature sur Terre, il n’est pas dit qu’il n’y trouvera que du bonheur. Il lui faudra tout autant la protéger que s’en protéger, et c’est en partie ce que tend à oublier l’écologisme contemporain, porteur d’une vision idéalisée de la nature.

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