Non! Je ne suis pas Charlie

Charlie Hebdo placardé sur un mur après les attentats de janvier 2015 / Flikr / Alf Altendorf
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Charlie Hebdo placardé sur un mur après les attentats de janvier 2015
Flikr / Alf Altendorf

Non! Je ne suis pas Charlie

14 janvier 2015
Chaque semaine, Protestinfo laisse carte blanche à des personnalités reformées.

Professeure honoraire de droit, Suzette Sandoz se demande quelle est l’étendue de la liberté de la presse.

Les événements récents dont la France a été le théâtre malheureux sont inqualifiables, inadmissibles, inquiétants. Ils ont, du côté des assassins qui ont perpétré leurs forfaits, un relent de guerre sainte, la pire des guerres puisqu’elle est conduite au nom d’une puissance divine –ou prétendue telle– avec laquelle il n’est pas possible d’organiser une table ronde pour négocier une trêve.

Cependant, le concert des nations indignées est aujourd’hui assez puissant pour que nous n’ayons pas besoin d’y joindre notre petite voix. En revanche, cet événement bouleversant et révoltant conduit à une double réflexion que nous voudrions développer un peu ici: quelle serait la réaction du Christ devant des caricatures? Quelle est l’étendue de la liberté des caricaturistes, donc de la presse?

On peut affirmer que le Christ a vécu les caricatures de sa propre personne: pendant son procès, on le caricature en roi ridicule, avec sa couronne d’épines, sa robe pourpre, son sceptre de roseau; on le caricature en prophète aveugle en lui crachant dessus ou en le frappant et lui disant «devine qui t’a frappé». Et la caricature atteint son comble quand on écrit sur la croix, au-dessus de cet homme brisé et humilié: «le roi des Juifs». Que fait le Christ? D’appel à la vengeance, aucun, d’appel à la haine, aucun, de menace, aucune. Une seule prière: «Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font».

Si les chrétiens devaient s’engager –comme ils l’ont fait parfois– dans une guerre «sainte», ce serait en désaccord total avec leur modèle. Nous devons oser le dire haut et fort, car c’est sans aucun doute la puissance exceptionnelle du message chrétien. Notre Dieu ne demande pour Lui, et pour ses «prophètes», ni vengeance, ni meurtre, ni tuerie, c’est parfois difficile à admettre, mais c’est sans doute ce qui Le rend unique.

Au fond, notre Dieu (dans son unicité plénière, Père, Fils et Saint-Esprit), est au-dessus des caricatures qui ne sauraient L’atteindre et dont Il ne demande absolument pas qu’on Le venge. Il leur est tellement supérieur. C’est bien pourquoi, dans notre Occident de tradition chrétienne, la liberté de caricature (donc aussi de la presse) peut être totale.

Monde globalisé

Mais nous vivons dans un monde actuellement global; c’est la raison pour laquelle les massacres en France nous obligent à nous poser la question de la portée des caricatures comme de la presse en général et de la responsabilité de leurs auteurs. On sait que le christianisme n’est pas la seule religion, on sait qu’il y a d’autres religions dont certains adeptes fanatiques ne tolèrent pas la moindre attaque de leur dieu et de leur prophète, que leur folie de vengeance ne connaît pas de frontière et que les moyens de communication actuels ne permettent pas de limiter des caricatures (ou des attaques verbales) dans la presse à un espace clos. Alors, au moment de se livrer à cet art, il faut se poser la question de la conséquence qu’il pourrait avoir non seulement pour soi –on a le droit de prendre un strictement risque individuel– mais éventuellement pour la communauté dans laquelle on vit, voire pour une partie du monde dans laquelle on se trouve.

Ce n’est pas la liberté de la presse qui est en jeu –car celle-ci n’existe que dans les pays qui peuvent la connaître

Ce n’est pas la liberté de la presse qui est en jeu –car celle-ci n’existe que dans les pays qui peuvent la connaître, ce qui implique aujourd’hui, consciemment ou non, une tradition chrétienne et non pas seulement républicaine– c’est l’effet de la multiculturalité du village global que le monde est devenu. Nous ne pouvons pas prétendre imposer au monde entier, d’un coup de baguette magique, le respect d’une liberté que bien des peuples et des cultures ignorent encore et que nous avons mis beaucoup de temps à comprendre et à accepter.

J’avoue humblement que si je condamne sans appel le terrorisme et la folie des fanatiques qui le pratiquent et déclenchent ainsi leur guerre sainte, «je ne suis néanmoins pas Charlie», parce que je conteste –par conscience d’une responsabilité– le droit d’ignorer les conséquences que peut avoir, dans un monde globalisé, l’exercice illimité de la provocation par une certaine forme d’humour. «Je ne suis pas Charlie», parce que je suis ces femmes d’Irak ou d’ailleurs que des terroristes fous ont enlevées, contraintes à se convertir, violées, mutilées, torturées ou vendues comme esclaves à d’autres fous et pour lesquelles personne ne défile dans Paris ou ailleurs.

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