Entre chasselas et Lacryma Christi, que boivent les chrétiens le dimanche?

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Entre chasselas et Lacryma Christi, que boivent les chrétiens le dimanche?

Laurence Villoz
9 octobre 2014
Alors qu’en Allemagne des vignerons sont reconnus comme fournisseurs de «vin de messe» attitrés, les pratiques en Suisse varient d’une paroisse à l’autre. Les protestants ont coutume d’utiliser une production de la commune, pourtant à la Cathédrale de Lausanne, les fidèles communient au rouge de Rolle.

 

Photo: Peinture sur verre représentant la coupe de la Cène à l’église luthérienne St Peter de Freedom (Wisconsin) CC(by-nc-sa) Rick Techlin

 

«J’ai arrêté de croire en Dieu le jour où j’ai découvert avec stupéfaction que le vin était blanc», se rappelle Jérôme, quadragénaire et servant de messe dans les années 1980 à l’Eglise catholique de Payerne. «A cette époque, je n’avais jamais vu la couleur du liquide dans la coupe, mais pour moi, il devait forcément être rouge comme le sang». Lors de l’Eucharistie chez les catholiques et de la Cène chez les protestants, les fidèles communient autour du pain et du vin: le corps et du sang du Christ (voir encadré).

En Allemagne, des vignerons attitrés produisent la boisson utilisée par l’Eglise catholique. Leur statut est d’ailleurs remis actuellement en question, peut-on lire dans la presse alémanique. Par contre en Suisse, chaque paroisse choisit son vin en fonction des traditions et des commodités.

«La pratique est de prendre une production locale. Historiquement, dans le canton de Vaud, on choisissait du blanc, car les vignerons en produisaient davantage», explique le conseiller synodal de l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV), Jean-Michel Sordet. Cette tradition se perpétue dans la paroisse de Lonay: «Je commande du chasselas au vigneron du village et la commune paie la facture», explique la conseillère paroissiale, Marie-Noëlle Genton Bonzon, qui s’occupe de la préparation des cultes.

Si les paroissiens de Lonay communient avec un cru local, ceux de la Cathédrale de Lausanne ont droit à du rouge de Rolle. «Le vin de la commune de Lausanne se vend très bien et comme tous les frais du culte sont pris en charge par la commune, cela lui coûte moins cher de l’acheter ailleurs plutôt que de donner sa propre production», explique le pasteur Virgile Rochat qui travaille à la paroisse de Chailly-La Cathédrale.

Rouge ou blanc?

«Théologiquement, la couleur n’a pas d’importance», précise Jean-Michel Sordet. Toutefois, dans le canton de Vaud, le blanc est davantage utilisé. «C’est pour des raisons pratiques, afin qu’il n’y ait pas de tâches sur la nappe de l’autel, mais le rouge serait plus représentatif du sang du Christ», précise l’abbé François Dupraz de la basilique Notre-Dame du Valentin, à Lausanne, qui fait venir du Lacryma Christi du nord de l’Italie. «Une fois ouvert, il se conserve longtemps, car il est plus sucré».

Dans l’Eglise catholique, historiquement seuls les prêtres prenaient le calice. L’assemblée communiait uniquement avec des hosties. Cette tradition a évolué et dépend désormais de chaque paroisse. «Comme il y a beaucoup de monde, le dimanche à la basilique, seuls les prêtres et les co-célébrants communient avec du vin, mais si nous sommes peu nombreux, nous partageons avec l’assemblée».

Les épidémies bannissent la coupe unique

Du côté des protestants, toute l’assemblée partage systématiquement la coupe. «Nous en utilisons une ou deux, en fonction du nombre de personnes présentes», précise Marie-Noëlle Genton Bonzon. Il arrive aussi, dans des situations exceptionnelles, que les fidèles communient avec des gobelets individuels. «Il y a quelques années, à cause de l’épidémie de grippe H1N1, le Conseil synodal de l’EERV a demandé à toutes les paroisses d’utiliser des petits gobelets en plastique. Cette pratique vient des hôpitaux. Par exemple, à Leysin, dans l’ancien centre médical destiné à soigner la tuberculose, il y avait toujours un plateau avec des petits verres en argent pour que les patients puissent communier», explique Virgile Rochat. «Dans certains établissements médicaux, la pratique consiste également à tremper le morceau de pain dans le liquide sans toucher la coupe», ajoute Bernard Reymond, professeur honoraire en théologie pratique à l’Université de Lausanne.

Chez les catholiques, c’est seulement après Vatican II que le pape a autorisé l’assemblée à partager le calice avec les prêtres. «Mais cette pratique n’est pas très courante. Elle s’est développée, il y a une quinzaine d’années, sous l’influence du mouvement œcuménique, mais tend actuellement à disparaître», précise le prêtre Etienne Perrot de la communauté des jésuites de Carouge (GE). Néanmoins, lorsque tous les fidèles boivent au calice, le prêtre nettoie son bord avec une serviette après chaque participant.

Finir le vin consacré

Lors de l’Eucharistie, il y a transsubstantiation, c’est-à-dire que le vin «devient» le sang du Christ – ce qui n’est pas le cas chez les protestants qui le considèrent comme un symbole –. Ainsi, le liquide consacré pendant la messe requiert du respect. S’il en reste à l’issue de la cérémonie, il doit être consommé. «Malheureusement, cette pratique a engendré l’alcoolisme de certains prêtres et ce n’est qu’à la fin du XXe siècle que le Vatican a autorisé l’utilisation du jus de raisins», explique Virgile Rochat. Mis à part dans ces situations de forces majeures, l’Église catholique ne propose pas de jus de fruits pour communier.

«Dans l’église protestante, l’utilisation de boissons sans alcool, pendant de la Cène, s’est développée au début du XXe siècle avec les grandes vagues d’abstinence pour lutter contre l’alcoolisme», explique le professeur Bernard Reymond qui ajoute que dans certaines paroisses en Suisse allemande, «il n’y a parfois que du jus de raisins, une pratique impossible dans le canton de Vaud, au vu de l’importance sociale du «verre de blanc». Par contre, il y a toujours du jus de raisin pour les personnes qui ne boivent pas d’alcool. Et si le vin consacré durant de la messe doit absolument être terminé, cette situation ne se retrouve pas dans le protestantisme. «S’il en reste à la fin du culte, nous l’emportons chez nous pour le terminer avec le repas», relève Marie-Noëlle Genton Bonzon.

Un litre pour cent personnes

En raison de l’importance de ce rite dans la religion chrétienne et de la diffusion du christianisme dans le monde, «de la vigne a été plantée dans des endroits peu propices à sa culture, comme en Ecosse, par exemple», ajoute Etienne Perrot. En effet, les besoins en vin sont significatifs. Selon Virgile Rochat, il faut compter un litre pour cent personnes. «Deux désirées sont ouvertes chaque dimanche pour la Cène à la Cathédrale, même s’il y a moins de cent personnes». Une coutume suisse alémanique, qui tend à disparaître, consistait à boire trois gorgées, une pour le Père, une pour le Fils et une dernière pour le Saint-Esprit. «Dans ce cas-là, on parle de trois litres au cent», plaisante le pasteur.
 

 

L'origine de l'Eucharistie

L’origine biblique de l’Eucharistie remonte au dernier repas de Jésus, qu’il a partagé avec ses douze apôtres, le soir du Jeudi saint, la veille de sa crucifixion. Dans la Bible, l’institution de l’Eucharistie est décrite dans les trois évangiles synoptiques (Matthieu 26.26-29; Marc 14.22-25; Luc 22.15-20) et dans la première lettre aux Corinthiens (11.23-26). Dans l’évangile de Matthieu, il est écrit: «Pendant le repas, Jésus prit du pain et, après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit; puis, le donnant aux disciples, il dit: «Prenez, mangez, ceci est mon corps.» Puis il prit une coupe et, après avoir rendu grâce, il la leur donna en disant: «Buvez-en tous, car ceci est mon sang […] » (26.26-28 TOB). Ces actes sont interprétés différemment par les protestants et les catholiques. Dans le protestantisme, le pain et le vin sont des symboles. «J’ai le sentiment que c’est un repas qui restaure nos forces par le pain et notre joie par le vin. Quand je célèbre, j’insiste sur le fait que cette cérémonie nous fortifie intérieurement, mais c’est une nourriture spirituelle», raconte le pasteur Virgile Rochat. D’ailleurs en choisissant du chasselas, donc du blanc, «nous nous distancions du sang du Christ», ajoute Marie-Noëlle Genton Bonzon. Au contraire, dans le catholicisme, la transsubstantiation transforme «réellement et matériellement» le pain et le vin en corps et sang du Christ.

 

Cet article a été publié:

Le 9 octobre 2014 sur le site internet de 24heures.
Le 10 octobre 2014 sur le site internet de La Liberté.
Dans l'édition de novembre 2014 de La Vie protestante Berne-Neuchâtel-Jura.